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Bombay : un café-bibliothèque pour les enfants des rues, par les enfants des rues

Le café-bibliothèque créé par Amin Sheikh est fréquenté par des adultes et des enfants, pour certains vivant dans la rue. Toutes les photos ont été publiées sur la page Facebook "Bombay to Barcelona Library Cafe".
Le café-bibliothèque créé par Amin Sheikh est fréquenté par des adultes et des enfants, pour certains vivant dans la rue. Toutes les photos ont été publiées sur la page Facebook "Bombay to Barcelona Library Cafe".

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Le "Bombay to Barcelona Library Café" a ouvert ses portes cet été dans la plus grande ville indienne, à l’initiative d’Amin Sheikh, un ancien enfant des rues. Sa particularité : six jeunes ayant également vécu dans la rue travaillent avec lui pour permettre aux enfants défavorisés de se restaurer gratuitement, tout en profitant des livres mis à disposition.

Amin Sheikh a quitté le foyer familial à 5 ans, pour fuir les coups de son beau-père. Il a appris à survivre seul dans les rues de Bombay – en récupérant à manger dans les poubelles, en mendiant et en volant – avant d’intégrer trois ans plus tard l’orphelinat Snehasadan, destiné aux enfants des rues.

Durant son enfance et son adolescence, Amin Sheikh réalise toutes sortes de petits boulots, pour tenter de s’en sortir : collecte de bouteilles en plastique pour les revendre, ou encore lavage de voitures et de bateaux.

À 17 ans, il est embauché en tant que chauffeur, cuisinier et homme de ménage par un homme aisé. Une aubaine : ce dernier l’aide à lancer sa propre agence de tourisme, "Sneha Travels", quelques années plus tard, tout en lui offrant l’opportunité de voyager en Europe. C’est là que l’idée d’ouvrir un café-bibliothèque a germé dans son esprit, il y a sept ans.

"Ce café aide les jeunes qui y travaillent à se construire une identité au sein de la société"

En Europe – notamment à Barcelone – j’ai vu de nombreux cafés, où les gens pouvaient boire, manger, lire et discuter, quel que soit leur statut social. Par exemple, personne ne m’a jamais dit : "Ne reste pas là, car tu es chauffeur." [En Inde, les discriminations restent fortes en raison du système de caste, bien que la Constitution interdise par exemple aux restaurants de restreindre leur accès à certaines personnes, NDLR.] J’ai donc souhaité ouvrir un endroit semblable à Bombay, ouvert aux riches comme aux pauvres.

Afin de financer ce projet, j’ai décidé de rédiger mon autobiographie. Elle est sortie en 2013 et a été traduite en huit langues. [En français, elle est intitulée "La vie, c’est la vie - J’étais un enfant des rues à Bombay", NDLR]. Grâce à la vente de ce livre et à des dons, j’ai finalement réussi à ouvrir le "Bombay to Barcelona Library Café" le 15 août 2016.

Amin Sheikh a décidé pour financer son projet de café de rédiger son autobiographie – publiée en 2013 –, ici placardée au mur.

La façade extérieure du café-bibliothèque.

Pour l’instant, six garçons et filles, âgés de 18 à 27 ans, y travaillent avec moi. Ce sont tous d’anciens enfants des rues, également passés par l’orphelinat Snehasadan. Les jeunes doivent quitter cet établissement vers 18-20 ans. Je voulais donc en aider certains, pour qu’ils ne se retrouvent pas à la rue à nouveau.

Une partie de l'équipe du café, composée de six anciens enfants des rues et de quelques volontaires.

Notre café est ouvert tous les jours, de 9h à 22h. Beaucoup de jeunes de l’école voisine viennent nous voir, ainsi que des enfants des rues et des personnes "lambda". Nous leur proposons des chocolats chauds, des sandwichs, des cookies, des muffins… 

Les enfants dans le "Bombay to Barcelona Library Café".

Quelques-uns des produits vendus dans le café.

Les produits coûtent entre 10 et 200 roupies [entre 0,14 et 2,74 euros, NDLR]. Ceux qui en ont les moyens paient ce qu’ils consomment. Mais ils peuvent aussi payer un chocolat chaud à quelqu’un d’autre par exemple. Et nous offrons à boire et à manger aux enfants défavorisés.

"Pour les enfants défavorisés : chocolat chaud et cookies gratuits."

Par ailleurs, nous avons 200 livres environ dans le café : des histoires vraies, des livres avec des photos, des contes pour les enfants… Et les gens continuent de nous en donner régulièrement. On peut lire sur place, mais pas emprunter.

Les jeunes touchent tous un salaire mensuel de 7000 roupies, comme moi [96 euros, soit légèrement moins que le revenu moyen par habitant dans le pays, NDLR]. Cet argent provient de la vente de mon livre, car nous ne réalisons pas encore de bénéfices en vendant nos produits. Par ailleurs, j’ai pu louer un appartement où quatre d’entre eux peuvent dormir – les deux autres étant encore à l’orphelinat. Quelques volontaires nous aident également régulièrement.

Cette volontaire espagnole aide le café-bibliothèque d'Amin Sheikh.

"Ce café permet aux jeunes de faire connaître leur travail"

Ce café aide les jeunes qui y travaillent à se construire une identité au sein de la société. Concrètement, nos "clients" savent toujours qui a cuisiné tel ou tel plat par exemple. Par ailleurs, ces jeunes ont tous un profil différent : Anil cuisine très bien, surtout les desserts ; Rajkumar souhaite devenir photographe ; Sai fait de la break-dance ; Khushboo crée des vêtements… Je souhaite donc qu’ils puissent mettre en avant leurs talents au sein de ce café.

D’ailleurs, d’autres jeunes passés par l’orphelinat et déjà dans la vie active peuvent y exposer leurs créations pour les vendre : vêtements, cartes… Ce café leur offre donc l’opportunité de faire connaître leur travail, ce qui peut les aider à améliorer leur vie.

En dehors du café-bibliothèque, Amin Sheikh travaille comme guide touristique à Bombay, quelques jours par mois. Au moins 37 000 enfants vivraient dans les rues de cette ville actuellement.