CÔTE D’IVOIRE

Une "grainothèque" pour préserver les semences face aux OGM en Côte d’Ivoire

Une partie des semences se trouvant dans la grainothèque de Sangouiné. Toutes les photos ont été envoyées par Daniel Oulaï.
Une partie des semences se trouvant dans la grainothèque de Sangouiné. Toutes les photos ont été envoyées par Daniel Oulaï.

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Un jeune ivoirien a mis en place une grainothèque à Sangouiné, une localité située dans la région du Tonkpi, dans l’ouest de la Côte d'Ivoire, en octobre 2015. L’objectif : préserver les semences traditionnelles locales et former les jeunes agriculteurs à l’agro-écologie, alors que le pays vient d’autoriser l’usage des organismes génétiquement modifiés (OGM) sur son sol.

Cette grainothèque a été mise en place par Daniel Oulaï, un Ivoirien de 27 ans originaire de Sangouiné et passionné par l’agro-écologie, grâce au soutien de "Bibliothèques Sans Frontières". En mars 2015, cette ONG avait lancé un appel à candidature afin de sélectionner dix jeunes ayant des idées pour repenser l’usage des bibliothèques sur le continent africain, et son projet avait alors été retenu.

"Les semences locales sont en péril en raison de l’industrialisation de l’agriculture"

Nous avons développé cette grainothèque au sein de la bibliothèque municipale de la ville, ce qui a permis de lui redonner vie, puisqu’elle était un peu boudée par les habitants. Un jeune agriculteur de la localité y tient une permanence le mercredi et le samedi, pour accueillir ses collègues.

Notre objectif principal est de préserver les semences locales, qui sont en péril en raison de l’industrialisation de l’agriculture. [Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, environ 75 % de la diversité des cultures a été perdue entre 1900 et 2000, NDLR.] En Afrique, on utilise en effet de plus en plus de semences génétiquement modifiées, d’où une homogénéisation croissante des semences, ce qui appauvrit notre alimentation.

La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à cette tendance, puisque le gouvernement a autorisé l’usage des OGM au mois de mars. Personne n’avait rien vu venir, car beaucoup d’agriculteurs sont illettrés et il n’existe pas d’organisations de consommateurs influentes dans notre pays, alors qu’il est important qu’ils aient le choix lorsqu’ils achètent de quoi se nourrir.

L’autre objectif de la grainothèque est de permettre aux agriculteurs d’utiliser des semences traditionnelles s’ils le veulent. Elles sont parfaitement reproductibles, alors que les agriculteurs utilisant des semences génétiquement modifiées sont souvent contraints d’en racheter tous les ans, ce qui crée une dépendance par rapport aux multinationales qui les commercialisent. De plus, les semences génétiquement modifiées sont toujours associées à l’utilisation d’une grande quantité de produits chimiques, ce qui dégrade souvent la santé des paysans et l’environnement.

Le projet de Daniel Oulaï bénéficie du soutien de l'ONG "Bibliothèques Sans Frontières".

"Nous avons déjà une cinquantaine de variétés de semences locales"

Nous avons déjà une cinquantaine de variétés de semences locales sur place. Par exemple, nous avons des graines de mucuna : cette plante a longtemps été utilisée comme herbicide naturel, puisqu’elle peut étouffer toutes les autres plantes se trouvant autour d’elle jusqu’à une certaine hauteur. Nous avons aussi des semences de jatropha : quand on extrait l’huile de ses grains, elle peut ensuite être utilisée comme agrocarburant. Nous avons également du neem [ou margousier, NDLR], qui peut être utilisé comme fertilisant dans les potagers, du piment, du maïs, du gombo, de l’amarante…

Les agriculteurs souhaitant récupérer des graines doivent apporter une nouvelle variété de semences en échange, pour contribuer à enrichir la grainothèque. Et s’ils n’en ont pas, ils doivent faire l’effort de s’instruire sur place.

"Nous montrons aux agriculteurs qu’ils peuvent produire davantage sans produits chimiques"

La formation des agriculteurs locaux aux techniques de l’agro-écologie est en effet essentielle à nos yeux. À partir d’avril, nous avons d’ailleurs commencé à former 20 agriculteurs – pour la plupart âgés de 25 à 35 ans – au compostage, à la manière dont on peut réutiliser les déchets… Nous leur montrons qu’il est possible de produire davantage sans produits chimiques. Pour ce faire, nous sommes trois formateurs. Et nous allons bientôt lancer une deuxième session de formation, pour 20 autres agriculteurs. De plus, nous avons amené de nouveaux livres dans la bibliothèque pour les paysans, afin de les inciter à venir.

Des sessions de formation sont organisées pour les jeunes agriculteurs locaux.

Des livres pouvant intéresser les agriculteurs sont mis à leur disposition dans la grainothèque.

 

"Nous allons collecter des semences dans tout le pays d’ici deux mois"

Actuellement, nous développons une plateforme web, qui fournira notamment des alertes météorologiques et des informations sur les maladies touchant les plantes et sur les méthodes naturelles pour y remédier. Nous souhaiterions également développer des greniers traditionnels dans la grainothèque, afin de mieux conserver les denrées produites en période d’abondance, pour éviter le gaspillage et les pénuries quelques mois plus tard.

Par ailleurs, une collecte de semences est prévue dans tout le pays, d’ici deux mois, et nous souhaiterions étendre notre projet à d’autres bibliothèques. Pour l’instant, nous avons mis en place quelque chose d’assez similaire à Treichville [une commune d’Abidjan, NDLR], où il y a déjà 13 variétés.

La grainothèque de Treichville, à Abidjan, a été créée après celle de Sangouiné.

Cette grainothèque est la première en Côte d’Ivoire, mais il en existe dans d’autres pays, notamment en France.

Ce projet a été sélectionné dans le cadre des "Trophées Initiatives Climat – COP22" pour les pays d’Afrique francophone.