À Venise, "il est plus facile d’acheter un masque de carnaval que de la nourriture"
Publié le : Modifié le :
Des Vénitiens ont manifesté, samedi 10 septembre, contre les dérives liées au tourisme de masse. Estimant que la ville est désormais davantage faite pour les visiteurs que pour ses propres habitants, ils craignent que la Cité des Doges devienne uniquement un "parc d’attractions", vidé de sa population.
"Attention à vos jambes, j’ai mon chariot" ("Ocio ae gambe, che go el careo") : c’est le nom de la manifestation qui s’est tenue samedi dans le centre de Venise, une ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, et qui aurait réuni plusieurs centaines de personnes, à l’appel de "Generazione 90" ("Génération 90").
Ce groupe informel, formé en juin, est composé d’une trentaine de jeunes "préoccupés par le futur de [leur] ville", selon leur page Facebook, où ils indiquent également : "Nous sommes peut-être la dernière génération qui a connu la vraie ville de Venise, lorsque vivre, trouver une maison et un travail, marcher dans la rue et faire ses courses, n’étaient pas des activités de super-héros mais des choses normales."
"La ville est davantage faite pour les touristes que pour les habitants"
Francesco Zane fait partie du groupe "Generazione 90". Il a participé à la manifestation.Nous avons brandi des cabas à roulettes car ils symbolisent notre vie quotidienne : beaucoup d’habitants les utilisent quand ils vont faire leurs courses, à pied – puisqu’on ne peut pas circuler en voiture à Venise – alors qu’on ne voit jamais de touristes avec ça.
Nous souhaitions dénoncer les problèmes que nous rencontrons précisément au quotidien, en raison du tourisme de masse, qui s’est surtout développé au cours des dix dernières années. [La ville accueille actuellement plus de 25 millions de visiteurs par an, NDLR.] Ces problèmes sont particulièrement saillants durant certaines périodes, comme le Carnaval.
Il est important de préciser que ce n’est pas le tourisme en tant que tel qui est problématique – puisqu'il fait vivre la ville [rapportant 1,5 milliard d'euros chaque année, NDLR] – mais ses dérives, car nous avons désormais l’impression que la ville est davantage faite pour les touristes que pour ses habitants.
"De plus en plus de gens louent des appartements aux touristes plutôt qu’aux habitants, ce qui fait grimper les loyers"
La principale conséquence, c’est le coût du logement. De plus en plus de gens louent des appartements aux touristes plutôt qu’aux habitants, ce qui fait grimper les loyers. [Un logement sur quatre est désormais loué uniquement à des touristes, NDLR.] De plus, acheter une maison et la rénover coûte très cher, puisque tous les bâtiments sont anciens. Et construire une maison est impossible dans un lieu historique.
Du coup, beaucoup de gens partent vivre ailleurs, à commencer par les jeunes [ce qui entraîne l’appauvrissement de la municipalité, NDLR]. C’est pourquoi la population de Venise ne cesse de diminuer : il y avait 357 000 habitants dans la commune en 1970, contre 264 000 actuellement. [Cette baisse est encore plus flagrante dans le centre historique, où vivaient 111 000 habitants en 1970, contre 56 000 actuellement, NDLR.] C’est vraiment dommage car beaucoup d’habitants aimeraient rester ici. Nous souhaiterions donc des aides financières concernant le logement et que l’on cesse de créer des hôtels ou encore des Bed & Breakfast.
"Il y a des magasins de souvenirs partout, alors que les commerces de proximité sont tout aussi importants"
L’autre problème, c’est qu’il est plus facile d’acheter un masque de carnaval que des chaussures ou de la nourriture par exemple, puisqu’il y a des magasins de souvenirs partout. Pourtant, le maintien de commerces de proximité et des services de base est tout aussi important. Nous craignons ainsi que l’un des hôpitaux ne ferme.
Par ailleurs, le tourisme est assez "déséquilibré" : tous les visiteurs sont concentrés sur la Place Saint-Marc, alors qu’il y a plein d’autres endroits à visiter dans la ville, et beaucoup restent sur place uniquement durant la journée, tandis que c’est beaucoup plus calme le soir.
Photo : Furio Visintin ("Generazione 90").
"Certains touristes se baignent dans les canaux : c’est irrespectueux"
Enfin, certains touristes sont vraiment irrespectueux. Certains laissent leurs déchets derrière eux après avoir mangé dans la rue. D’autres se baignent dans les canaux alors que c’est interdit… Venise n’est pas un parc d’attractions ! [En août, la photo d’une femme se soulageant dans le canal, en public, avait également particulièrement choqué les habitants, NDLR.]
#Venezia Si tuffa in bacino San Marco, prima multa a un turista ceco https://t.co/W8TRCM7DLI pic.twitter.com/tvTrlTEo1B
De notre côté, nous pensons qu’il faudrait donc développer un tourisme plus "soutenable", ce qui impliquerait par exemple de limiter le nombre de visiteurs. [Un avis partagé par certaines ONG, comme Italia Nostra, ou encore par le président de la région de la Vénétie, Luca Zaia, NDLR.]
Un autre problème, régulièrement dénoncé, est le passage incessant des bateaux touristiques – et parfois d’énormes bateaux de croisière – ce qui fragilise les fondations des édifices de la ville et les quais, ainsi que l’écosystème. En 2015, le photographe Gianni Berengo Gardin avait d'ailleurs vu son exposition, où il montrait le contraste entre Venise et ces énormes paquebots, censurée par le marie.