VENEZUELA

Au Venezuela, mieux vaut éviter de filmer le président dans des situations gênantes

Le président vénézuélien Nicolas Maduro fuit une manifestation sur l'île Margarita. Capture d'écran de la vidéo diffusée par Reporte Confidencial.
Le président vénézuélien Nicolas Maduro fuit une manifestation sur l'île Margarita. Capture d'écran de la vidéo diffusée par Reporte Confidencial.

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Au Venezuela, alors que les manifestations contre le gouvernement se succèdent, la polémique enfle après qu’un journaliste a été placé en détention. Son arrestation est intervenue la semaine dernière quelques heures après avoir diffusé une vidéo amateur montrant le président Nicolas Maduro se faire courser par une foule en colère à Porlamar, une petite ville de province. Notre Observateur dénonce une détention arbitraire dans un pays où la censure bat son plein.

À la suite du mouvement de protestation pour réclamer la tenue d’un référendum sur la révocation du président Nicolas Maduro le week-end dernier, une trentaine de personnes ont été arrêtées. Toutes ont été libérées lundi, sauf Alonso Braulio Jatar, un journaliste vénézuelo-chilien, directeur du site Reporte Confidencial. Mardi 6 septembre, les autorités chiliennes et la société inter américaine de presse, basée à Miami, se sont mobilisées pour demander sa libération, en vain. Selon le gouvernement, il est accusé de blanchiment d’argent. Contacté par France 24, Braulio Jatar, son fils, peine à y croire.

Mon père a été arrêté quelques heures à peine après avoir publié une vidéo sur son site, où l’on voit le président s’enfuir en courant. Je trouve que c’est un drôle de hasard... Il est directeur d’un des sites indépendants les plus importants de notre État, le Nueva Esparta, déjà hacké à plusieurs reprises. Et il recevait régulièrement des messages d’intimidation de la part de personnalités proches du gouvernement.

Le journaliste en détention. Crédit : page Facebook Alonso Braulio Jatar.

La vidéo publiée par Alonso Braulio Jatar dans le week-end et massivement relayée sur les réseaux sociaux est, en effet, significative de l’impopularité du président vénézuélien, Nicolas Maduro. Les images le montrent prendre la fuite, tandis que plusieurs habitants l’encerclent en l’insultant. La scène se déroule vendredi dernier, alors que celui-ci était venu inaugurer de nouveaux logements sociaux à Porlamar, une ville située sur l’île Margarita au large du pays. Le même jour, une manifestation à l’appel de l’opposition contre les nombreuses pénuries et pour demander sa révocation avait rassemblé plus d’un million de personnes à Caracas, la capitale, selon les organisateurs – 30 000 selon le gouvernement.

"Les autorités s’en prennent de plus en plus personnellement à des journalistes"

Selon Ricardo Rosalves, un avocat vénézuélien militant pour la liberté d’expression au sein de l’ONG Espacio Publico, l’arrestation s’apparente à une nouvelle tentative d’intimidation.

Lors de sa disparition, le journaliste n’a pas pu entrer en contact avec ses proches. Sa famille n’a été avertie que 12 heures plus tard de sa détention. Selon le droit vénézuélien, les autorités ont l’obligation de laisser le suspect prévenir ses proches, sinon c’est une disparition forcée [une personne est victime de disparition forcée lorsqu’elle est arrêtée, détenue ou enlevée par l’État ou par des agents opérant pour le compte de l’État qui nient ensuite détenir cette personne ou qui refusent de révéler où elle se trouve, NDLR].

Les autorités n’ont expliqué que lundi le motif de l’arrestation. Normalement, toute arrestation est précédée d’un mandat d’arrêt ou effectuée en cas de flagrant délit. Or, Alonso se rendait simplement au travail et pour le moment, aucune preuve n’a été présentée pour l’inculper. Au Venezuela, la police peut détenir un prévenu pendant deux jours avant de le présenter devant un tribunal. Alonso Braulio Jatar est détenu depuis six jours et il n’a toujours pas été présenté à un juge.

"La publication de la vidéo semble être le véritable motif de l’arrestation"

Pour moi, la publication de la vidéo semble être le véritable motif. La liberté de s’exprimer est de plus en plus menacée notamment en cette période de mouvement contre le gouvernement. En 2015, sur un total de 2 667 manifestations, nous avons enregistré 341 personnes détenues pour avoir participé à des manifestations. En 2016, sur 2 284 manifestations, nous en avons enregistrées 737 [les chiffres officiels ne sont pas disponibles, NDLR]. La plupart sont accusées d’appel à la violence, mais pour nous c’est rarement confirmé dans les faits.

Les journalistes sont les premières victimes de cette répression. Déjà en 2007, la chaîne de télévision la plus populaire du pays, RTVC, avait disparu des ondes parce qu’elle avait refusé d’infléchir à la ligne éditoriale imposée par le gouvernement [cette fermeture avait provoqué un véritable tollé au Venezuela, dénoncé par Reporters sans frontières, NDLR]. La censure n’est donc pas nouvelle, mais ces deux dernières années, nous avons remarqué de plus en plus de cas où les autorités s’en prennent personnellement à des journalistes, et non plus au média dans son ensemble.

En 2015, 16 journalistes ont été détenus pendant plus de deux jours alors qu’ils étaient en reportage. Des vols de matériels, commis par la police ont également été enregistrés. Il y a même une journaliste, Nazareth Montilla, sur laquelle la police a braqué une arme parce qu’elle filmait… une file de consommateurs attendant l’ouverture d’un magasin pour s’approvisionner pendant les pénuries ! Elle a été placée en détention puis libérée… après avoir supprimé sa vidéo.

"Une femme a été détenue six mois pour des tweets"

Les journalistes arrêtés ou menacés sont souvent accusés d’incitation à la violence. Ce n’est pas le cas de Braulio Jatar, on l’accuse de tout autre chose, comme pour brouiller les pistes. Mais personne n’est dupe. À force d’intimidation, de nombreux médias nationaux sont devenus très consensuels et beaucoup de journalistes nous disent qu’ils ont accès à plus d’informations en lisant la presse étrangère.

Les Vénézuéliens tentent alors de s’informer via les réseaux sociaux. Mais c’est tout aussi dangereux. En 2015, une femme a été détenue six mois parce qu’elle postait des messages critiques envers le gouvernement sur Twitter. C’était la septième personne dans ce cas.

Mercredi, la sœur du journaliste a exprimé son inquiétude dans la presse locale, affirmant : "Si la pression internationale redescend, Braulio ira pourrir en prison".

Ce jeudi, le vice-président du gouvernement a rappelé que le journaliste doit "rendre des comptes à la Justice", sans donner plus de précisions sur les chefs d’accusation qui pèsent sur lui.

Reporters sans frontières classait en 2015 le Venezuela à la 137e position sur 180 dans son classement mondial de la liberté de la presse. Soit deux places plus bas qu’en 2014.