Personnes disparues, important dispositif policier dans les rues et pénurie dans les magasins, selon notre Observatrice à Libreville, même si les tensions ont baissé d’un cran après plusieurs jours d’émeutes et de pillages, le climat reste très anxiogène dans la capitale gabonaise.
La proclamation des résultats mercredi après-midi, donnant le président sortant Ali Bongo vainqueur, a été suivie de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre dans plusieurs villes du pays. Certains opposants dénoncent des fraudes massives et réclament un recomptage des voix par bureau de vote, notamment dans la province du Haut-Ogooué – fief de la famille Bongo – où la participation officielle a dépassé 99 % avec plus de 95 % des suffrages en faveur d’Ali Bongo.
Selon les chiffres du gouvernement, les violences post-électorales ont fait sept morts dans tout le Gabon, dont cinq civils à Libreville, un civil à Port-Gentil et un policier à Oyem. Selon les opposants, le bilan serait bien plus lourd. Par ailleurs, selon le ministère gabonais de l’Intérieur, plus de 1000 personnes auraient été arrêtées, dont environ 800 à Libreville.
Ce lundi, après cinq jours de coupure, Internet a été partiellement rétabli à Libreville. Une internaute en a profité pour publier sur Twitter un témoignage très détaillé, accompagné de photos et vidéos, de son weekend à Libreville. Contactée par notre équipe, elle a accepté de revenir sur les événements de ce weekend dans la capitale et le black-out médiatique qui a suivi. Elle s’inquiète également du climat de psychose qui s’installe à Libreville en ce début de semaine.
"Sur un trajet de 15 minutes, je peux me faire contrôler, avec fouille complète de ma voiture, au moins quatre fois"
Mercredi, après l’annonce des résultats, une marche a été organisée. Pour moi, il ne s’agissait pas d’une marche de sympathisants de Jean Ping, mais plutôt de la marche de Gabonais en colère contre la réélection d’Ali Bongo. J’y ai participé, mais je l’ai quitté quand des affrontements ont éclaté avec les forces de l’ordre. J’ai dû me cacher chez un ami qui habitait dans la zone. J’ai entendu des tirs toute la nuit.
"Certains Gabonais n’ont toujours pas de nouvelles de leurs proches arrêtés"
Le lendemain, en traversant la ville pour retourner chez moi, j’ai vu des scènes de chaos : des commerces pillés, des ordures brûlées, des pneus, des carcasses de voitures… De nombreux habitants se sont cloîtrés chez eux.
Vendredi et samedi, la situation était très angoissante. Des manifestations spontanées ont repris dans quelques quartiers populaires. Selon mes amis sur place, des habitants ont pris des machettes pour éloigner les forces de l’ordre.
Dans mon quartier, personne ne voulait sortir. Tout le monde se souvenait des tirs entendus le mercredi. Les commerces étaient fermés, par peur des pillages, et il n’y avait pas de transport. Et le pire, c’est que les communications étaient bloquées. Nous ne pouvions ni envoyer des SMS, ni accéder à Internet. Impossible donc de se retrouver entre amis, impossible d’organiser une autre manifestation et surtout, nous avions peur : beaucoup de gens se sont fait arrêter et nous n’avions pas de nouvelles. D’ailleurs, certains n’ont toujours pas de nouvelles de leurs proches [des pages Facebook ont été créées afin de diffuser les photos des disparus, NDLR].
On ne pouvait pas échanger d’informations entre nous, et en plus, les médias étaient tout aussi muets. Seules quelques chaînes gabonaises ont continué d’émettre, parce que beaucoup ont été attaquées [selon l'AFP, Télé Gabon a diffusé dimanche après-midi des annonces de séries télévisées, tandis que Gabon 24 a annoncé en bandeau un report au 6 septembre de la rentrée parlementaire. Ces deux chaînes sont publiques, NDLR]. Celles qu’on pouvait regarder diffusaient de la propagande du gouvernement. On nous expliquait notamment que les manifestants étaient armés. Ce n’est pas ce que j’ai vu. On ne pouvait compter que sur les chaînes internationales pour avoir un aperçu de la situation.
"Nous ne pouvons pas manifester à nouveau, la nuit de mercredi soir a été assez traumatisante"
Aujourd’hui, nous avons l’impression d’être dans l’impasse. Les Gabonais n’ont pas baissé les bras, mais que faire ? Existe-t-il vraiment un recours légal ? Nous ne pouvons pas manifester à nouveau, la nuit de mercredi soir a été assez traumatisante… Certaines personnes ont décidé de ne pas aller travailler, et de faire grève pour bloquer l’économie en signe de protestation [le chef de l’opposition gabonaise, Jean Ping, a lancé lundi 5 septembre un appel à la grève générale pour protester contre la réélection du président Ali Bongo, qu’il a qualifiée de frauduleuse, NDLR].
Mais ça ne durera qu’un temps et ce n’est pas sûr que ça ait un impact. Les médias parlent de retour à la normale, moi, je parlerai plutôt de retour à la peur.
Barrage des forces de l'ordre dans la ville pour fouiller les voitures. Photo envoyée par notre Observatrice.
La Cour constitutionnelle du Gabon doit très prochainement confirmer les résultats. J’ai bien peur que cela ne remette de l’huile sur le feu. Les habitants de la capitale continuent donc de faire des provisions, au cas où il y ait de nouvelles émeutes. Du coup, avec en plus les pillages des jours précédents, il n’y a plus rien dans les supermarchés et les boutiques, les rayons sont vides. Autre signe de ce climat anxiogène : les nombreux barrages de police dans la rue. Depuis hier, sur un trajet de 15 minutes, je peux me faire contrôler, avec fouille complète de ma voiture, au moins quatre fois.
De son côté, le président réélu Ali Bongo Ondimba a dénoncé l’action des "pilleurs" et a incombé la responsabilité des violences à l’opposition, principalement à son rival Jean Ping. Ce dernier continue toujours de contester les résultats et lui demande de quitter le pouvoir.