BURUNDI

Des maisons à l'abandon dans les quartiers contestataires de Bujumbura

Toutes les photos ont été prises dans les quartiers de Mutakura et Cibitoke. Crédit : SOS Médias Burundi.
Toutes les photos ont été prises dans les quartiers de Mutakura et Cibitoke. Crédit : SOS Médias Burundi.
Publicité

Dans les quartiers contestataires de Mutakura et Cibitoke, au nord de Bujumbura, la nature a repris ses droits dans certaines maisons. Et pour cause : elles ont été abandonnées par leurs habitants, qui ont fui les violences liées à la crise secouant le Burundi depuis avril 2015. Selon nos Observateurs, beaucoup de ces Burundais n’osent pas revenir chez eux, bien que la vie reprenne progressivement son cours sur place.

De nombreuses photos montrant des maisons laissées à l’abandon – parfois en très mauvais état – ont été publiées la semaine dernière par SOS Médias Burundi, un collectif de journalistes travaillant dans la clandestinité. On y voit notamment des portes fermées ou arrachées, des murs écroulés, des vitres brisées, des toitures endommagées ou des patios envahis par la végétation.

>> Lire notre article : Résister en informant : retour sur le combat de SOS Médias Burundi depuis un an

Ces photos ont été prises dans les quartiers voisins de Mutakura et Cibitoke, où la majorité de la population s’était opposée à la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat présidentiel l’an dernier, la jugeant inconstitutionnelle.

La végétation a envahi de nombreuses parcelles. Crédit : SOS Médias Burundi.

Une vitre brisée, stigmate de la crise secouant le pays depuis avril 2015. Crédit : 
SOS Médias Burundi.

"Les habitants de ces quartiers ont fui en masse à partir du 5 novembre"

Egide (pseudonyme) vit dans un quartier proche de Mutakura et Cibitoke.

Certains habitants ont quitté ces quartiers dès le début de la crise politique, en avril 2015. Puis d’autres sont partis au fur et à mesure, notamment pour fuir les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.

Mais les gens ont surtout fui en masse à partir du 5 novembre, car ils ont pris peur en raison des propos tenus par le président du Sénat : quelques jours plus tôt, il avait demandé à ses partisans de se tenir prêts à "travailler". [Le même terme avait été utilisé par les miliciens hutus lors du génocide rwandais en 1994, ce qui avait fait craindre des massacres de masse au Burundi, NDLR.] Sans oublier l’ultimatum lancé par le président de la République en personne… [Il avait indiqué aux habitants des quartiers contestataires de Bujumbura qu’ils avaient jusqu’au 7 novembre pour "renoncer [aux] crimes" dont ils se seraient rendus coupables selon lui, sans pour autant leur promettre d’amnistie, NDLR.]

>> Lire notre article : À Bujumbura, des habitants fuient par crainte d’un carnage ce week-end

Les toitures de nombreuses habitations ont été arrachées au plus fort de la crise. Crédit : SOS Médias Burundi.

"Beaucoup d’habitants ont peur de revenir car ils ne font pas confiance aux forces de l’ordre qui restent très présentes dans le quartier"

Evariste (pseudonyme) vit à nouveau à Mutakura, après être parti durant quelques mois.

J’ai quitté le quartier en mai 2015, à la suite de la tentative de coup d'État. Puis le reste de ma famille est partie en septembre, à la suite de l’arrestation de l’un de nos proches – sans raison apparente. Par chance, il avait pu s’en sortir facilement à l’époque… Nous sommes tous allés dans un autre quartier de la capitale. [D’autres habitants sont également partis en province ou à l’étranger, NDLR.]

Nous sommes ensuite revenus chez nous progressivement. Dans un premier temps, ma mère a commencé à revenir seule, uniquement durant la journée. Puis nous sommes tous rentrés en février, puisque ça s’est calmé dans le quartier.

"Les fouilles et les arrestations continuent"

Je dirais que 70 % des habitants sont revenus dans le quartier, mais ce sont surtout des propriétaires, comme nous. Les locataires, eux, préfèrent rester ailleurs. Ils ont peur de revenir car ils ne font pas confiance aux forces de l’ordre. Les policiers contrôlent sans cesse l’identité des gens dans la rue. Du coup, il faut toujours avoir sa carte d’identité sur soi, même pour aller chercher du pain… Sans oublier qu’il y a encore des fouilles et des arrestations régulièrement, et une forte présence militaire.

[Selon Egide, deux parcelles abandonnées auraient été investies par les militaires sur la 3e avenue de Mutakura et la 10e avenue de Cibitoke, ce qui alimenterait également la peur des habitants vivant à côté, puisqu’ils entendraient "régulièrement des cris provenant de ces endroits durant la nuit", NDLR.]

Les gens sont épuisés : ils en ont assez de la situation à Mutakura et dans le pays en général. Et surtout, ils sont en colère car beaucoup d’entre eux ont perdu des proches et des voisins : certains ont été tués, d’autres sont portés disparus depuis qu’ils ont été arrêtés.

"Le quartier est beaucoup plus calme qu’avant"

Comme ça s’est calmé, beaucoup de magasins ont rouvert et les bars sont remplis à nouveau. À titre de comparaison, en septembre 2015, les rues étaient désertes, les magasins fermés et les bars totalement vides. Mais l’atmosphère dans le quartier a beaucoup changé. Avant la tentative de coup d'État, il était très vivant et bruyant. Désormais, c’est beaucoup plus calme…

Beaucoup d'habitants n'osent toujours pas rentrer chez eux. Crédit : SOS Médias Burundi.

Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, environ 250 000 Burundais ont rejoint la Tanzanie, l’Ouganda, la RDC et dans une moindre mesure la Zambie, depuis avril 2015.