En Birmanie, des jeunes Karens torturés par... leur propre milice
Publié le : Modifié le :
Une vidéo montrant des policiers et des militaires de l'Union nationale karen (KNU) – un ex-groupe rebelle de l'ethnie minoritaire en Birmanie – infliger des sévices corporels à des jeunes, dans le sud du pays, circule actuellement sur les réseaux sociaux. Ils auraient été punis pour avoir consommé de la drogue. Une sanction "inappropriée" pour les responsables de la KNU... qui reconnaissent néanmoins recourir à ce genre de pratiques dans certains cas.
Cette vidéo d’humiliations – dont France 24 a choisi de ne diffuser que des captures d’écran floutées – circule depuis plus d’une semaine sur les réseaux sociaux en Birmanie.
On y voit d’abord quatre jeunes hommes assis au sol, attachés entre eux par les poignets, entourés par des hommes en treillis militaire et en uniforme kaki. L’un de ces hommes commence à donner des coups de pied dans le dos d’un jeune, puis à la tête. Il inflige ensuite les mêmes sévices à son voisin. Tout en les frappant, il leur demande : "Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Pourquoi vous disputez-vous ? Pourquoi vous bagarrez-vous ? Quel est le problème ? Comment osez-vous ?"
{{ scope.legend }}
Un autre homme en uniforme kaki frappe ensuite les jeunes avec un bâton, sur les avant-bras et les mains. "Vous voulez vous battre ? Allez-y, frappez-vous", entend-on.
Puis la caméra s’attarde sur quatre autres jeunes, également au sol et attachés entre eux, se trouvant un mètre plus loin. Eux aussi reçoivent des coups de bâton sur les avant-bras et les mains, ainsi que dans le dos et sur les tibias pour l’un d’entre eux. On entend l’un de ces quatre jeunes sangloter.
{{ scope.legend }}
"Dans certaines régions, ce sont les groupes armés des organisations ethniques qui sont chargés de faire régner l’ordre"
Buu Tho (pseudonyme) est un journaliste birman ayant travaillé sur cette vidéo. Selon lui, elle a été tournée début juillet, dans la région de Tanintharyi (sud), dans une zone contrôlée par la quatrième brigade de la branche armée de l’Union nationale karen (KNU).La KNU est une organisation politique représentant les Karens, un groupe ethnique minoritaire dans le pays (7 à 8 % de la population). Environ 90 % des Karens vivent en Birmanie, dans différentes zones, et 10 % en Thaïlande.
Durant une soixantaine d’années, la branche armée de cette organisation – l'Armée karen de libération nationale (KNLA) – a lutté contre le pouvoir central birman, afin d’obtenir un État indépendant pour les Karens, avant de revoir ses ambitions à la baisse et d’exiger un État fédéral. Ce conflit s’est intensifié durant la période dominée par la junte militaire (1962 - 2011), qui n’a cessé de persécuter les minorités ethniques.
En janvier 2012, quelques mois après la dissolution de la junte, un cessez-le-feu a finalement été signé entre la KNU et le gouvernement birman, mettant fin à plus d’un demi-siècle de conflit. La NKU et la KNLA n’ont toutefois pas été dissoutes et continuent d’avoir autorité dans les zones qu'ils contrôlent, explique notre Observateur.
Les hommes en uniforme que l’on voit dans la vidéo sont des policiers et des militaires de la quatrième brigade de la branche armée de la KNU. Ils parlent une langue karen et portent l’insigne de l’organisation. Un responsable de la KNU m’a confirmé ces informations.
Les jeunes assis au sol sont également des Karens, provenant du camp de réfugiés birmans "Tham Him", situé en Thaïlande, à quelques kilomètres de la frontière avec la Birmanie. [Ce camp a été mis en place en 1997, à la suite de l’offensive menée par l’armée birmane dans la région de Tanintharyi, ayant entraîné le déplacement de nombreux civils, NDLR.] Ils sont accusés d’avoir consommé de la drogue : ils ont donc été arrêtés par les gardes assurant la sécurité du camp, qui les ont remis à la police thaïlandaise. Celle-ci les a ensuite remis à la quatrième brigade de la branche armée de la KNU, qui opère de l’autre côté de la frontière.
En fait, dans certaines régions de Birmanie, ce sont les groupes armés des organisations ethniques qui sont chargés de faire régner l’ordre et la sécurité. Par exemple, dans la région de Tanintharyi, ce sont les policiers de la KNU qui arrêtent et interrogent les délinquants et les criminels, car c’est une zone historiquement contrôlée par l’organisation.
"En théorie, seuls les individus suspectés de viol ou de meurtre sont parfois frappés durant l’interrogatoire"
Cela pourrait bien être un policier de la KNU qui a tourné et diffusé la vidéo, pour faire passer le message suivant : "Voici ce qui vous arrivera si vous consommez de la drogue". On dirait qu’ils ont puni ces jeunes pour l’exemple.
Mais ça s’est retourné contre eux : la KNU a indiqué que cette punition était inappropriée et qu’elle ne correspondait pas du tout à sa politique. L’organisation sait que cela nuit à sa réputation, puisque la vidéo a été très partagée et critiquée sur les réseaux sociaux.
Cela dit, le responsable de la KNU avec lequel j’ai parlé m’a dit que les individus suspectés de viol ou de meurtre sont régulièrement frappés, lorsqu’ils sont interrogés dans les centres de détention gérés par l’organisation. Mais ce genre de traitement n’est pas censé s’appliquer dans les affaires de vol ou de drogue.