SIERRA LEONE

Des Sierra-Léonais récupèrent des poulets avariés dans une décharge

Capture d'écran de la troisième vidéo ci-dessous, postée sur Facebook par Bakarr King Conteh.
Capture d'écran de la troisième vidéo ci-dessous, postée sur Facebook par Bakarr King Conteh.
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Jugés impropres à la consommation, des milliers de poulets ont été enterrés dans une décharge de Freetown, la capitale de la Sierra Leone, vendredi 22 juillet, avant que de nombreux habitants ne viennent les récupérer – bravant l’interdiction de la police – afin de les revendre ou de les manger. Une scène révélatrice de l’extrême pauvreté touchant de nombreux Sierra-Léonais, selon nos Observateurs.

Ces poulets, produits par l’entreprise brésilienne Frangosul, étaient arrivés du Brésil le 12 juillet dernier. Les jugeant impropres à la consommation, le ministère de la Santé avait décidé de les retirer des étals et de les enterrer dans la décharge de Bomeh, dans l’est de Freetown.

"J’ai vu des gens se disputer pour récupérer des cartons de poulets"

Amad (pseudonyme) est un étudiant vivant non loin de la décharge.

Quand j’ai entendu ce qu’il se passait à la décharge vendredi, j’ai décidé de me rendre sur place, par curiosité. Il y avait énormément de gens [des milliers selon l’AFP, NDLR], bien plus que les policiers qui essayaient de les empêcher de récupérer les poulets. Mais les policiers ont quand même réussi à arrêter quelques personnes. [La police aurait arrêté 40 personnes et utilisé du gaz lacrymogène, des grenades incapacitantes et des balles en caoutchouc pour disperser la foule, selon l'AFP, NDLR.]

Des policiers ont été déployés pour tenter d'empêcher les gens de récupérer les poulets avariés. Vidéo postée sur Facebook par Bakarr King Conteh.

J’ai vu des gens se disputer pour récupérer des cartons, puisque beaucoup de poulets étaient encore sous emballage quand ils ont été amenés à la décharge. Je pense que la plupart d’entre eux souhaitaient les revendre, et non les manger. Par exemple, j’ai vu un homme qui avait récupéré une dizaine de cartons : à mon avis, il n’allait pas manger tous ces poulets tout seul…

Comme moi, d’autres personnes sont venues voir ce qu’il se passait à la décharge. Globalement, on était assez choqués de voir les gens récupérer des poulets avariés pour les revendre. Mais je pense que c’est très révélateur de la pauvreté qui existe dans notre pays.

Des personnes en train de nettoyer les poulets récupérés à la décharge. Vidéo postée sur
Facebook par Albert Momoh.

Des cartons remplis de poulets à la décharge. Photo de Amad (pseudonyme).

"Les gens ont cherché à récupérer ces poulets uniquement car ils sont très pauvres"

Victor Lansana Koroma est le directeur de l’ONG Health Alert – Sierra Leone.

Tous ces gens ont afflué à la décharge, après avoir entendu dans les médias que les autorités allaient enterrer les poulets à cet endroit.

Dans la matinée, un bulldozer a commencé à creuser le sol pour y enterrer les poulets, mais le travail n’a pas pu être fini, faute d’essence. Une autre machine devait arriver, mais elle a eu un problème également. Du coup, des employés ont tenté de continuer le travail à la main, en transportant les poulets qui se trouvaient dans des containeurs jusqu’à l’endroit où ils devaient être enterrés. Mais les gens en ont alors profité pour récupérer des poulets directement dans les containeurs, ainsi que dans le sol, parfois à l’aide d’outils.

Les gens ne pensaient pas que tous les poulets étaient avariés. Ils pensaient que le problème ne concernait qu’une partie d’entre eux et que certains pouvaient sûrement être consommés. Cela dit, il existe probablement aussi des personnes sans scrupules qui voulaient les vendre, peu importe leur qualité. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas en vouloir aux gens d’avoir cherché à récupérer ces poulets. Ils l’ont fait uniquement car ils sont très pauvres…

Dans un communiqué publié le jour-même (voir ci-dessous), le ministère de la santé a appelé la population à ne pas manger et à ne pas vendre les poulets avariés. Il a indiqué craindre des intoxications alimentaires et le développement de maladies – telles que la diarrhée, le choléra et l’helminthiase (un terme désignant les maladies parasitaires) – précisant que les poulets avaient été enterrés au milieu de la boue, de déchets humains, animaux et industriels et d’ordures domestiques.

Selon Victor Lansana Koroma, les responsabilités seraient partagées dans cette affaire :

Nous souhaitons que le gouvernement enquête pour savoir qui est la personne ayant importé ces poulets, afin de l’arrêter. Apparemment, les poulets n’étaient pas avariés quand ils ont été achetés au Brésil. C’est ensuite qu’ils auraient commencé à pourrir, peut-être durant le trajet. En tout cas, lorsque les containeurs dans lesquels ils se trouvaient ont été ouverts, deux d’entre eux n’étaient plus réfrigérés. Or, il y avait des milliers de poulets dans chaque containeur.

Depuis Ebola, je pense que le gouvernement fait attention à ce qu’il n’y ait pas de nouvelle épidémie. Mais je pense qu’il n’aurait jamais dû communiquer autour du fait que les poulets allaient être enterrés dans cette décharge. Ils auraient dû le faire de façon plus discrète, durant la nuit, dans un autre endroit, et utiliser des machines qui fonctionnent, pour éviter ce qui s’est produit vendredi dernier.

À 0'28'', on voit une femme transporter des poulets dans un seau. Vidéo postée sur
Facebook par Bakarr King Conteh.

La Sierra Leone, qui compte 6,3 millions d’habitants, est l’un des pays les plus pauvres au monde. Plus de 60 % de la population vit avec moins de 1,25$ par jour, selon le Programme des Nations unies pour le développement. Récemment, le pays a été durement touché par Ebola, qui a fait 3500 morts environ selon l’Organisation mondiale de la santé. L’épidémie a pris fin le 17 mars dernier.

Vue générale de la décharge. Photo de Amad (pseudonyme).