Des bâtiments officiels canardés à coup de pistolet à peinture, des performances artistiques filmées et partagées sur les réseaux sociaux : "la révolution de couleur" est en marche en Macédoine. Presque tous les soirs depuis trois mois, des milliers de manifestants défilent dans les rues de Skopje, la capitale, pour demander la démission du gouvernement, la tenue de nouvelles élections et des réformes dans le secteur de la justice pour mieux lutter contre la corruption.
C’est là la suite et le durcissement d’une crise politique qui dure en Macédoine. L’an dernier, l’opposition révélait un gigantesque scandale d’écoutes téléphoniques mises en place par le pouvoir : plus de 20 000 journalistes, responsables politiques et religieux ont été écoutés, alimentant les suspicions d’un contrôle du pouvoir sur les sphères de décision.
Le 12 avril dernier, la situation s’est définitivement envenimée lorsque le président Gjorge Ivanov a annoncé l’amnistie d’une cinquantaine de politiciens impliqués dans ces écoutes, principalement des membres du VMRO-DPMNE, le parti de droite nationaliste au pouvoir, dont l’ancien Premier ministre Nikola Gruevski.
Il avait démissionné en janvier dernier, ouvrant la voie à des élections anticipées censées débuter le 5 juin, puis reportées en raison de la vague de contestation dans le pays. Un gouvernement de transition, dominé par le VMRO-DPMNE, assure l’intérim dans l’attente de ce scrutin.
Le but de ces manifestations est de dénoncer, de manière très visuelle, cette corruption, sans pour autant entrer dans une confrontation violente avec le pouvoir, expliquent les manifestants, qui n’ont pas l’intention de s’arrêter de repeindre les bâtiments officiels.
"Nous voulons avoir de l’impact sans démolir et sans violence"
Pavle Bogoevski est l’un des leaders du mouvement de la "révolution de couleur".
Le nom "révolution de couleur" a été inventé par les médias, il nous a plu alors nous l’avons gardé. Nous avons décidé de repeindre la capitale grâce à des pistolets et des "bombes "de peinture. C’est un bon moyen de faire quelque chose qui a de l’impact et qui se voit sans démolir et sans être violents. Au final, nous sommes désobéissants, mais la police n’a pas de raison de nous charger : nous ne faisons rien de criminel.
"Des monuments symboles du tournant nationaliste et de la corruption"
Il faut savoir que nous ne nous attaquons pas à n’importe quel bâtiment. Nous lançons de la peinture sur les monuments construits par l’ancien Premier ministre Nikola Gruevski, qui font partie d’un vaste projet du gouvernement, appelé "Skopje 2014" initié en 2010.
Au total, des centaines de statues, un arc de triomphe et d’autres constructions grandiloquentes rappelant l’époque de la Grèce antique sont venues décorer la ville [près de 80 statues ont été installées partout dans la ville. L’architecture baroque de ces aménagements avait été beaucoup critiquée et avait créé des tensions, mais "Skopje 2014" avait fait nettement augmenter la fréquentation touristique de la ville, NDLR].
L'arc de triomphe de "Skopje 2014", redécoré par les manifestants.
Selon beaucoup de Macédoniens, "Skopje 2014" a marqué la dérive nationaliste du gouvernement. C’est aussi le symbole d’une gestion financière très floue, car on ne sait pas comment cela a été financé [En 2011, l’opposition au gouvernement estimait que les travaux allaient coûter près de 500 millions d’euros, NDLR]. Pour nous, ces monuments sont la preuve de la corruption du gouvernement. C’est pour cela qu’ils sont les premiers visés par nos jets de peinture.
"Un ultimatum"
Nous avons également complètement coloré le ministère de la Justice. Encore une fois, rien n’est fait au hasard : l’une de nos principales demandes, c’est la mise en place d’une réforme judiciaire permettant de mieux lutter contre la corruption.
Nous nous sommes rendus compte que le mouvement ne pouvait pas rester uniquement dans la rue, alors nous avons tenté de négocier en émettant une liste de requêtes et nous avons lancé un ultimatum au gouvernement le 6 juin. Ces requêtes ont été relayées sur Facebook, comme beaucoup de nos actions. Le but était qu’ils répondent avant le 18 juin. Nous avions lancé un compte à rebours en dessinant sur le sol des cibles avec à l’intérieur un numéro marquant le nombre de jours restants. Mais nous n'avons reçu aucune réponse.
"Décentraliser notre action"
Nous avons également organisé des performances artistiques notamment avec de la lumière. Toutes ces idées nous ont été données par des gens dans la rue et ensuite, nous sommes une petite centaine à organiser ça dans les rues. Des artistes peuvent nous donner des conseils, c’est très participatif.
Les élections ont été reportées. C’était l’une de nos demandes. Maintenant, nous voulons la démission du président actuel, la condamnation de l’ancien Premier ministre et la tenue d’élections libres. En attendant, nous continuerons à aller dans les rues. Notre mouvement est de plus en plus important. Lundi 20 juin, nous avons rassemblé des milliers de personnes et nous réfléchissons désormais à décentraliser notre action.
Le mouvement divise la Macédoine. À en croire les sondages, une partie des deux millions de Macédoniens soutiennent encore l’ancien Premier ministre Nikola Gruevski, qui bénéficie d’une cote de confiance de plus de 30 %, contre 11,4 % pour son principal opposant, le social-démocrate Zoran Zaev.