CENTRAFRIQUE

Bain de sang et représailles dans le silence au nord-ouest de la Centrafrique

À gauche, des maisons à Ngaoundaye brûlées après le passage de miliciens de l'ex-Seleka le 15 juin. À droite, un milicien anti-balaka vient d'abattre un ex-Séléka le 11 juin à Ngaoundaye. Photo Benedykt Benedykt Pączka.
À gauche, des maisons à Ngaoundaye brûlées après le passage de miliciens de l'ex-Seleka le 15 juin. À droite, un milicien anti-balaka vient d'abattre un ex-Séléka le 11 juin à Ngaoundaye. Photo Benedykt Benedykt Pączka.

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C’est sans doute le plus grave incident impliquant des milices armées depuis l’élection du nouveau président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, en mars dernier : notre Observateur raconte comment, la semaine dernière, un différend lors du passage d’un troupeau de bœufs a dégénéré en massacres à Ngaoundaye.

La ville de Ngaoundaye, située dans l’extrême nord-ouest de la Centrafrique, à proximité immédiate des frontières avec le Tchad et le Cameroun, a connu une semaine de chaos au cours de laquelle elle a été le théâtre d’une attaque de la part de combattants de l’ex Séléka, le groupe rebelle armé à l’origine du coup d’État en Centrafrique en mars 2013. De nombreuses maisons ont été incendiées et selon les rapports médicaux, sept combattants armés et au moins quatre civils ont été tués. Une dizaine de civils ont également été blessés.

Une des maisons brûlées parmi la trentaine icendiée. Photo Benedykt Pączka.
Une des maisons brûlées parmi la trentaine icendiée. Photo Benedykt Pączka.

L’escalade de violence a débuté le 11 juin dernier, lorsqu’un important troupeau de bœufs encadré par huit miliciens armés est rentré dans Ngaoundaye. Le troupeau était parti de la ville de Nzoro et se dirigeait vers le Cameroun. Les circonstances exactes du déclenchement des violences n’ont pu être vérifiées pour l’instant. Mais selon nos Observateurs, les miliciens armés ont reçu l’ordre de déposer leurs armes à la gendarmerie de la ville. Comme ils se montraient peu coopératifs, des miliciens anti-balaka seraient venus avec l‘intention de prêter main forte à la police. Ces miliciens auraient alors identifié, parmi les hommes encadrant le troupeau, des combattants de la Séléka, leurs ennemis jurés, qui ne parlaient pas le sango, la langue locale. Un affrontement a alors eu lieu, causant la mort de sept miliciens escortant le troupeau.

ATTENTION, CERTAINES PHOTOS QUI SUIVENT PEUVENT CHOQUER

"Pour les habitants, la police a laissé la population à la merci de la Séléka"

Ce n’était cependant que le début. Benedykt Pączka est un prêtre polonais à Ngaoundaye. Il a été témoin des violences et a tenu un carnet de bord des attaques sur sa page Facebook.

Les autorités ont affirmé après coup que le troupeau aurait été volé au Tchad, et que les gardiens du troupeau s’étaient assurés la protection de mercenaires peuls et de l’ex-Séléka pour leur permettre d’arriver au Cameroun. Les gardiens ont été arrêtés et le troupeau dispersé en brousse. Pour les anti-balaka, c’était une victoire, un moyen de montrer qu’il était hors de question que d’ex-Séléka puissent mettre les pieds à Ngaoundaye.

Mais trois jours après, l’information qu’un important convoi d’ex-Séléka venu de Paoua, à l’est de Nagaoudaye, fonçait vers Ngaoundaye a circulé et créé la panique dans la ville [voir carte ci-dessus, ndlr]. Plus d’une centaine de personnes ont plié bagage et se sont réfugiées dans l’enceinte de notre mission. Un contingent de la Minusca [Mission des Nations unies en Centrafrique, Ndlr] a également escorté une foule de gens en fuite vers la frontière tchadienne. En à peine quelques heures, la ville a presque été désertée.

Le même jour, trois camions remplis de gendarmes centrafricains sont venus en renfort à Ngaoundaye. Pour les gens qui n’avaient pas pu quitter la ville, c’était un immense soulagement. Mais quelques heures après, les convois ont rebroussé chemin vers Bangui. On ne sait pas pourquoi, peut-être ont-ils eu peur d’être mis en déroute. Pour les habitants, c’était comme si la police laissait la population de Ngaoundaye à la merci des ex-Séléka.

Contactée par France 24, une source au sein du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique centrafricaine confirme qu’"une force mixte composée de gendarmes et de policiers s’est bien rendue après le 11 juin à Ngaoundaye ", mais assure que c’était "dans le cadre d’une mission éclair de reconnaissance". Elle explique que "ces agents ne sont pas suffisamment équipés pour faire face à des rebelles lourdement armés" sans pour autant confirmer que le ministère ait demandé leur retrait.

Une des victimes de l'attaque des ex-Séléka constatée par les membres de la Minusca. La victime a pris une balle dans le dos. La diffusion des images de cadavres comme celle-ci aurait mis le feu aux poudres. Photo Benedykt Pączka.

"Ils ont menacé de jeter une grenade dans la mission où les gens se cachaient "

Dès le lendemain, mercredi 15 juin, des tirs résonnent à 6h30 à Ngaoudaye.

Nous étions en train de célébrer la messe, lorsque les ex-Séléka sont arrivés dans la ville "pour venger leurs frères tués samedi "comme ils nous l’ont dit. Ils ont tiré sans état d’âme sur ceux qui n’avaient pu fuir : une vieille dame a été tuée, un enfant de deux ans a été blessé. Au passage, ils ont incendié une trentaine de maisons, avant d’aller se recueillir sur les fosses communes où les miliciens de l’ex-Séléka tués avaient été enterrés.

Ils sont également venus jusqu’à la mission où plus d’une centaine de personnes étaient réfugiées. Nous nous sommes cachés dans les chambres, les toilettes, les douches… Les assaillants sont arrivés à notre mission et ont menacé de jeter une grenade à l’intérieur si ceux qui s’y cachaient n’ouvraient pas. Les habitants ont finalement ouvert… mais par miracle, les assaillants leur ont juste dit qu’ils étaient là pour se venger, et qu’ils ne tueraient pas dans une enceinte religieuse. Ils ont simplement récupéré de la nourriture et sont partis.

Des habitants de Ngaoundaye blessés et réfugiés à la mission catholique évacués par ambulance. Photo Benedykt Pączka.

Urgence humanitaire absolue

Un peu plus de deux heures après l’attaque, huit soldats de la Minusca sont arrivés pour négocier le retrait du groupe d’assaillants de Ngaoundaye et sécuriser le village. Les ex-Séléka sont partis, mais se sont retranchés dans un petit village à plusieurs dizaines de kilomètres. Actuellement, l’urgence est absolue : beaucoup de personnes sont réfugiées dans la mission catholique, nous avons très peu de nourriture, et certaines personnes ici sont malades, sans assistance médicale. Ce qui nous met le plus en colère, c’est l’absence de forces de sécurité dans la région, et la dépendance envers celles de la Minusca, qui sont elles-mêmes en sous-effectifs et mettent beaucoup de temps à arriver.

La région de l’Ouham-Pendé, où se sont déroulés ces heurts, est connue pour être celle où s’était formé le mouvement anti-balaka hostile au régime du premier président musulman du pays, Michel Djotodia. Ce dernier, chef de la Séléka, a été à l’origine du putsch de mars 2013 en Centrafrique. De nombreux autres groupes armés y sont actifs, comme une milice de défense des agriculteurs peuls appelée  "les 3R " pour "Retour, réclamation et réhabilitation".

Nos Observateurs font régulièrement état des difficultés des autorités centrafricaines à rétablir l’ordre dans la région, gangrénée par les groupes armés.

>> À relire sur les Observateurs : À Bozoum, les forces des Nations-Unies dépasées par les anti-balaka

Des renforts de la Minusca sont arrivés le 18 juin à Ngaoundaye. Photo Benedykt Pączka.