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Au Brésil, une ONG lance un site pour dénoncer les violences policières

Capture d'écran d'une vidéo envoyée à DefeZap.
Capture d'écran d'une vidéo envoyée à DefeZap.
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Au Brésil, les violences policières sont monnaie courante. Les abus des forces de l’ordre ne sont que rarement sanctionnés. En réaction, une ONG a lancé en mai un site internet "d’auto-défense" : des contributeurs envoient des vidéos de violences policières, qui sont analysées avant d’être amenées aux autorités compétences pour que des poursuites soient engagées.

Dans la nuit du 22 février 2016, des policiers ont tué Igor Silva, 19 ans, dans la favela de Maré, à Rio de Janeiro. Dans beaucoup de journaux, seule la version officielle était relayée : le jeune homme, qui travaillait dans une pharmacie, aurait été blessé durant un affrontement avec la police puis serait décédé sur la route vers l’hôpital. Il aurait été en possession d’un pistolet calibre 40 et d’un gilet pare-balles.

Or, cette version avait été démentie – en vain – par la famille du garçon et des habitants de la favela qui nient toute implication de celui-ci dans des trafics. L’affaire aurait pu en rester là, mais une vidéo étonnante a été envoyée à DefeZap (combinaison de "défense" et "Whatsapp"), le site lancé par l’ONG Meu Rio, qui milite pour la démocratie dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro. On y voit un jeune homme, présenté comme étant Igor Silva, être placé à l’arrière d’un pick-up de police, complètement inerte. Sur les images, il ne semble pas porter de gilet pare-balle. Et selon l’article qui accompagne cette vidéo sur DefeZap, ces images démontrent que les policiers n'ont pas appelé les secours ou la police scientifique, comme l'oblige pourtant la loi brésilienne en cas de blessure grave ou de décès.

"Les gens ne portent jamais plainte, nous voulons garantir l’accès à la justice pour tous"

Guilherme Pimentel est le coordinateur de DefeZap.

Cette vidéo nous a permis de publier notre premier article. Sans celle-ci, la mort de ce jeune garçon n’aurait jamais été élucidée. Nous avons immédiatement transmis ces images au ministère des Affaires publiques qui a demandé l’ouverture d’une enquête. Nous avons également informé la division des homicides au sein de la police nationale. Nous publierons l’avancée de l’enquête au fur et à mesure.

Nous avons eu l’idée de ce projet en 2014 avec le réseau Meu Rio. Nous voulions que les nombreuses vidéos qui sont publiées sur les réseaux sociaux donnent lieu à un véritable débat de société et qu’elles puissent être étudiées par les autorités. En général, une fois sur Internet, ces images suscitent l’émoi, puis elles disparaissent ou sont oubliées sans qu’elles n’aient permis de changer quoique ce soit.

"Nous allons à la rencontre des autorités compétentes, et nous leur soumettons les vidéos"

Nous sommes six à travailler sur le projet DefeZap dont deux journalistes. Celui-ci est financé par l’Open Society Foundation [une fondation créée par le milliardaire américain George Soros dont l’objectif est de promouvoir la gouvernance démocratique et les droits de l’Homme, NDLR].

Nous écrivons des articles à partir des vidéos que nous recevons. Nous essayons de retrouver le lieu, la date et les personnes impliquées. N’importe quel citoyen qui habite dans la région de Rio et qui veut nous aider à mener ses enquêtes peut s’inscrire et rejoindre notre réseau. Une fois que nous avons assez d’éléments, nous allons à la rencontre des autorités compétentes, et nous leur soumettons la vidéo.

 

"Une violence ancrée dans la société brésilienne"

Nous envoyons d’abord des mails, puis nous allons les rencontrer en personne pour nous assurer que tout a bien été reçu. Nous faisons tout pour qu’une enquête soit ouverte. Nous suivons également tout le processus d’investigation pour s’assurer que les affaires ne soient pas étouffées.

Nous demandons à ce que ces actes de violence ne soient pas seulement traités au cas par cas, mais qu’il y ait aussi une remise en question plus globale sur leur généralisation et leur banalisation. Les policiers ne sont pas les seuls fautifs : ils reçoivent toujours des ordres de quelqu’un d’autre, et si les affaires sont étouffées, c’est aussi que cette violence est ancrée dans la société brésilienne et permise par l’État.

"299 contributions en un mois"

Defezap veut aussi garantir l’accès pour tous à la justice. Les victimes qui nous envoient des vidéos pourront être acheminées vers un défenseur des droits pour qu’elles bénéficient d’une aide juridique. En temps normal, les gens ne portent jamais plainte. Ils se disent que ça ne sert à rien et ne savent pas qu'ils ont le droit d’être indemnisés s’ils ont été victimes d’abus.

Le site a eu du succès dès son ouverture. Nous avons reçu 299 contributions en un mois, beaucoup avec des vidéos. Et nous récupérons aussi des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.

À la fin du mois d’avril, Amnesty International avait tiré la sonnette d’alarme suite à la multiplication des homicides commis par des policiers à l’approche des Jeux olympiques de Rio qui débutent en août. En l’espace de ce seul mois, au moins 11 homicides par arme à feu imputables à des policiers avaient été recensés. Dans l’État de Rio en 2014, année où le Brésil a accueilli la Coupe du monde de football, la police a tué près de 580 personnes. En 2015, le chiffre avait augmenté, avec 645 homicides policiers.

En octobre 2015, une vidéo tournée par les habitants d’une favela avait fait scandale en montrant des policiers placer une arme dans la main d’un jeune homme qu’ils venaient d’abattre pour faire croire à un affrontement.