Il y a un an environ, un Burundais était tué par balle lors d’une manifestation contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, devenant la première victime d’une crise qui allait faire des centaines de morts et disparus. Afin de ne pas oublier ces victimes, des activistes ont décidé de lancer un site Internet racontant leur histoire.
Le 25 avril 2015, le parti au pouvoir – le CNDD-FDD – annonçait que le président Pierre Nkurunziza allait briguer un troisième mandat à la tête du Burundi. Une décision violant la Constitution, selon les opposants, puisque le texte fondamental autorise seulement deux mandats présidentiels.
Dès le lendemain de cette annonce, des manifestants sont descendus dans les rues, avant d’être rapidement réprimés par les forces de l’ordre. Deux personnes ont été tuées par balle. Les manifestations se sont malgré tout poursuivies durant les jours suivants.
Le 13 mai, des militaires annoncent la destitution du président et la dissolution du gouvernement. Mais le coup d’État échoue rapidement. Au mois de juillet, Pierre Nkurunziza est finalement réélu à la tête du pays.
"Chaque histoire est importante, mais certaines m’ont particulièrement marqué"
Hippolyte (pseudonyme) est un Burundais ayant fui son pays. Il est l’un des fondateurs du site Internet "Enfants du Pays", qui raconte l’histoire de certaines victimes de la crise.
Après le coup d’État manqué du 13 mai, la répression s’est intensifiée. Il est devenu très difficile de manifester. En juin, environ 65 personnes avaient déjà été tuées. On s’est donc demandé comment exprimer notre colère différemment… [Hippolyte se trouvait encore au Burundi à l’époque, NDLR.]
On a alors décidé d’honorer la mémoire de ces victimes. Au début, on contactait les activistes qui connaissaient les personnes tuées lors des manifestations, qui nous mettaient ensuite en contact avec leurs familles. Depuis que les manifestations se sont taries, quand on voit le nom de certaines victimes dans le journal, on cherche à contacter les familles, si on les connait. Quand on écrit l’histoire de ces victimes, on essaie toujours d’inclure le témoignage d’un ami proche et d’une personne qui était présente lors du décès. Ce projet est très risqué pour nous, donc on n’appelle jamais une famille directement. On passe toujours par un ami ou un membre de la famille en qui on peut avoir confiance.
Nepo a été tué le 26 avril 2015, pris pour un manifestant. Ce jour-là, ce jeune homme qui voulait devenir médecin avait pourtant simplement assisté aux manifestations, sans y participer directement.
Chaque histoire est importante, mais certaines m’ont particulièrement marqué, comme celle de Jean Népomucène Komezamahoro. Son nom signifie "renforcer la paix ". Ses parents l’avaient appelé comme ça car il était né en 1998, lorsque les négociations de paix avaient démarré à Arusha. [Les accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation, signés en 2000, ont mis un terme à la guerre civile ayant déchiré le pays dans les années 1990. Ils constituaient également une base en vue de l’adoption de la Constitution de 2005, qui limite le nombre de mandats présidentiels, NDLR.] Ironie du sort, ce jeune a été tué par des gens n’ayant pas respecté ces accords…
Justin, âgé de 17 ans, rêvait de rejoindre l’armée, avant d’être étranglé lors d’une manifestation le 27 mai 2015. Son histoire a particulièrement choqué notre Observateur.
L’histoire de Théogène m’a également beaucoup marqué. C’était un orphelin, mais il était allé à l’école, avant d’entrer à l’université, où il bénéficiait d’une bourse. Il avait également monté un petit business de vente d’œufs et de cacahuètes, dont profitaient ses frères et sœurs. Selon le gouvernement, tous les manifestants sont des drogués au chômage… Mais Theogène était l’exact opposé de ça ! Je pense souvent à lui, car on a de nombreux points communs. Il n’appartenait à aucune organisation politique ou de la société civile. Il représentait simplement cette génération de jeunes qui rêvent d’un Burundi meilleur.
Theogène a été tué le 5 juin 2015. Cet étudiant n’appartenait à aucune organisation politique, mais il rêvait d’un Burundi meilleur.
"Le poids du passé pèse sur tous les Burundais"
On a décidé de présenter les photos des victimes avec ce style particulier, car on voulait gommer leurs différences. Certaines victimes avaient des smartphones, donc il existait des photos d’elles de très bonne qualité. Mais d’autres n’avaient aucune photo, à l’exception de celle se trouvant sur leur carte d’identité. On ne voulait pas qu’il soit possible de faire la distinction entre riches et pauvres.
Il n’y a que des jeunes qui travaillent sur ce projet. Mais le poids du passé pèse sur tous les Burundais. Notre pays a été plongé dans la violence durant des décennies. Le problème, c’est que la justice n’a jamais été rendue pour les crimes commis dans le passé. Je pense que ça explique en grande partie les problèmes actuels.
En ce moment, on rencontre des difficultés pour poursuivre notre projet, car on a tous quitté le Burundi, même si quelques volontaires continuent d’interviewer les familles des victimes à Bujumbura. On a donc lancé une campagne de crowdfunding pour le poursuivre, car ce projet est vraiment important pour les familles.
Exposition itinérante
"Enfants du Pays" collabore actuellement avec les étudiants de l’École supérieure d'art et de design Marseille-Méditerranée, afin d’organiser une exposition itinérante, inspirée des photos et des histoires des victimes. Une première exposition a été inaugurée à New York, le 28 avril.
Ces images sont inspirées des histoires des victimes de la crise burundaise. Exposition organisée par "Enfants du Pays".