Des Vénézuéliens se rebellent contre des policiers qui ne font pas la queue au supermarché
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Faire la queue pour acheter à manger est devenu le quotidien de la majorité des Vénézuéliens. Lorsque des policiers sans scrupules ont débarqué dans un supermarché de Valencia pour récupérer des sacs de farine, sans faire la queue, ce week-end, certains habitants qui patientaient sur place depuis des heures se sont donc insurgés. Selon notre Observateur sur place, cette réaction traduit l’exaspération de la population face aux abus policiers, dans un contexte de pénurie croissante des produits de base.
La scène s’est déroulée samedi 23 avril sur l’une des principales artères de Valencia, la capitale de l'État de Carabobo (nord). Dans la vidéo tournée par un habitant, on voit un pick-up de la police municipale stationné devant l’entrée d’un supermarché, au milieu de nombreuses personnes. Un homme – probablement l’un des employés du magasin – dépose des sacs de farine à l’arrière du véhicule, sous le regard de trois policiers.
Une femme tente alors d’escalader l’arrière du pick-up, avant d’en être empêchée par deux policières. Quelques bousculades se produisent et la tension monte. Un homme crie : "Elle a faim !" Le véhicule démarre alors, tandis que certaines personnes parviennent à attraper quelques sacs de farine.
"Les gens se révoltent car ils manquent de tout actuellement"
Diego (pseudonyme) est un habitant de Valencia, qui vit dans la zone où se sont déroulés les faits.D’après l'une de mes connaissances qui se trouvait sur place, les gens faisaient la queue depuis des heures sous le soleil, donc c’était assez tendu. Quand les policiers sont arrivés, ils sont entrés directement dans le magasin, où ils ont parlé avec l’un des employés. Quelques minutes plus tard, ce dernier a commencé à sortir des sacs de farine de maïs, sous les yeux des gens, qui se sont alors énervés.
Les gens se révoltent de plus en plus quand ils voient les forces de l’ordre agir de la sorte, puisqu’on manque de tout actuellement : sucre, lait, couches, médicaments, farine, pain, œufs, poulets, sauce tomate, mayonnaise, haricots, pièces de rechange pour les véhicules… [Depuis l’an dernier, ces pénuries génèrent même des pillages de magasins, NDLR.]
"Certains gérants de supermarchés passent des accords informels avec les forces de l’ordre"
En fait, un certain nombre de gérants de supermarchés passent des accords informels avec les forces de l’ordre, c’est-à-dire qu’ils se répartissent entre eux une partie des produits qui arrivent. Les agents des forces de l’ordre les achètent au même prix que tout le monde, sauf qu’ils ne font pas la queue. Ils ramènent ensuite ces produits à leurs familles, mais certains les revendent également sur le marché noir. Les commerçants ont intérêt à coopérer, pour que leur magasin soit ensuite protégé par les policiers. Bref, tout le monde s’y retrouve… sauf la population !
On voit régulièrement des agents de la police ou de la Garde nationale se comporter de la sorte dans les magasins. Sauf que cette fois, ça a été filmé : ce n’est pas courant, car ils arrachent généralement le téléphone des personnes qui tentent de filmer. C’est sûrement pour ça que le maire de Valencia a réagi. Il a annoncé qu’il avait destitué le chef de la police municipale, suspendu les agents que l’on voit dans la vidéo, et ouvert une enquête sur ce qu’il s’était passé. Mais généralement, les autorités ferment les yeux face à ce type d’abus...
Enfin, il faut savoir qu’il existe aussi des accords informels entre la police, la Garde nationale et les revendeurs. [Ces derniers – appelés "bachaqueros" au Venezuela – achètent des produits pour les revendre ensuite beaucoup plus cher sur le marché noir aux personnes ne souhaitant pas faire la queue devant les magasins, NDLR.] En théorie, il est interdit de revendre les produits dont les prix sont contrôlés au niveau étatique. Pourtant, c’est ce que font les revendeurs, sans se faire arrêter pour autant...
Le Venezuela traverse une crise économique majeure : le pays est entré en récession en 2014 et a enregistré un taux d’inflation de 180 % en 2015, l’un des plus élevés au monde. La République bolivarienne est minée par la chute du cours du pétrole, dans la mesure où 90 % de ses revenus proviennent de la vente de l’or noir.
Profitant de cette débâcle économique et du ras-le-bol de la population, l’opposition – qui a remporté les élections législatives en décembre dernier – a entamé deux procédures pour tenter d’écourter le mandat du président Nicolás Maduro, bien qu’elles aient a priori peu de chance d’aboutir.