La tension monte à Luanda après la condamnation de 17 activistes à des peines allant de deux à huit ans et demi de prison. Le scandale de trop pour des Angolais déjà exaspérés par la situation économique du pays ? Selon nos Observateurs sur place, plusieurs militants prévoient d’organiser une grande manifestation pour contester la décision de justice… et les autorités semblent déjà sur le qui-vive.
Les jeunes activistes ont été reconnus coupables de préparer une rébellion contre le gouvernement angolais du président José Eduardo Dos Santos, à la tête du pays depuis 36 ans. L’un d’entre eux, Luaty Beirao, a collaboré a plusieurs reprises avec les Observateurs.
Après la lecture de la sentence, un homme, Francisco Mapanda, s’est levé dans la salle pour crier : "Ce jugement est une plaisanterie !". Il a immédiatement été arrêté. Pourtant, ce sentiment est partagé par les associations de défense des droits de l’Homme qui affirment que ces jeunes militants ne sont coupables que de "lectures sur la démocratie".
L’affaire remonte au 20 juin dernier, lorsque que les 17 activistes sont arrêtés à Luanda alors qu’ils étaient réunis pour disserter autour du dernier ouvrage de Domingos da Cruz, inspiré des écrits de l’universitaire américain Gene Sharp, théoricien de la non-violence et de la résistance civile. Accusés de planifier un coup d’État, ils ont finalement été reconnus coupables de "préparation à la rébellion" et "d’association de malfaiteurs" lundi 28 mars, au terme d’un procès qui a duré plusieurs mois.
Notre Observateur, Luaty Beirao, le dernier jour de son procès (Photo: Rodrigue Bemvido)
Amnesty International note que des observateurs indépendants n’ont pas eu le droit d’assister au procès et a demandé la "libération immédiate et inconditionnelle" des militants. D’autres activistes angolais, dont le journaliste Rafael Morais de Marques, ont dénoncé un procès marqué par "une absence de preuves concrètes et le non-respect de la procédure".
De nombreuses associations des droits de l’Homme se disent très préoccupées par la santé de Nuno Dala, gravement affaibli par une grève de la faim entamée il y a deux semaines. Lundi, il a reçu une peine de quatre ans et demie de prison.
“La ville est sous tension”
Alexandre Solombe est le president de l’Institut des médias d’Afrique australe.
Cette condamnation a mis beaucoup de gens très, très en colère. Personne ne croit à l’impartialité du système de justice.
Beaucoup d’internautes s’expriment sur le sujet sur Facebook et Twitter en utilisant les hastags #Angola15+2 et #LiberdadeJa.
Il faut dire que ce procès a eu lieu en pleine période de crise. Chaque jour, les angolais souffrent du coût de la vie et de la très forte inflation. Le système bancaire ne fonctionne pas correctement et le gouvernement est très en difficulté, ce qui a conduit à de nombreuses coupes budgétaires avec des résultats catastrophiques, comme l’arrêt de la collecte des déchets. Il y également de graves épidémies de fièvre jaune et de paludisme dans tout le pays. La décision de la cour est en train d’accroître le mécontentement.
La place autour de la statue d’Agostinho Neto dans le centre de Luanda, qui a l’habitude d’accueillir les manifestations, a été fermée au public dès mercredi. Photo envoyée par notre Observateur Alexandre Solombe.
La ville est sous tension. Mardi, les forces de l’ordre étaient partout dans Luanda et notamment près de la place de l’Indépendance. Ce mercredi, la police a bouclé tout le périmètre autour de la statue d’Agostinho Neto, un endroit où la population s’est déjà rassemblée pour manifester dans le passé. Cela confirme mon sentiment : ils ont peur de nouvelles manifestations. Il y en aura certainement, mais pour le moment nous ne savons pas quand et où.
D’autres sources sur le terrain nous ont également confirmé que des rassemblements allaient être organisés. Mais les autorités angolaises sont connues pour réprimer de façon très violente les mouvements de contestation. En 1977, des milliers de manifestants avaient été tués par les forces de sécurité. Depuis 2011, la plupart des militants qui ont tenté d’organiser des manifestations pacifiques ont été arrêtés. Le plus souvent, ces rassemblements sont empêchés par les forces de l’ordre au bout de quelques minutes.
Veillée pour les militants à la Sagrada Familia, à Luanda. Photo envoyée par notre Observateur Rodrigues Bemvindo.
Lundi, un groupe a organisé une veillée pour les militants dans une église à Luanda. Une centaine de personnes sont venues. Ce procès a également fait parler de lui à l’étranger et des manifestations ont eu lieu à Lisbonne, la capitale portugaise [ancienne puissance coloniale en Angola, NDLR].
Manifestation à Lisbonne. (photo: Mariana Abreu)
Manifestation à Lisbonne. (photo: Mariana Abreu)
Autre fait intéressant : après des mois d’attente, [le procès a commencé le 16 novembre, NDLR], le juge a prononcé son verdict la veille d’un match de football important entre l’Angola et la République démocratique du Congo. Ce n’est pas la première fois qu’une décision controversée est annoncée juste avant un match. Cela s’était déjà produit en 2010, quand des changements constitutionnels avaient été votés. Je pense que c’est une façon pour le gouvernement de faire diversion.