MAROC

Une opération d’abattage de chiens qui prend des allures de "massacre" au Maroc

Images des "chasseurs de chiens" dans les rues de Ksar El Kébir, les nuits des 22 et 23 mars, diffusées sur les réseaux sociaux.
Images des "chasseurs de chiens" dans les rues de Ksar El Kébir, les nuits des 22 et 23 mars, diffusées sur les réseaux sociaux.
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Des vidéos d’une opération ultra-violente d’abattage de chiens errants à Ksar el-Kébir, au Maroc, ont filtré sur les réseaux sociaux. Des habitants se disent choqués des moyens employés, et dénoncent un risque sanitaire, compte tenu de la mauvaise gestion des cadavres des animaux.

Les habitants de Ksar El Kébir, ville au nord de Rabat au Maroc, ont eu droit à un spectacle choquant durant les nuits du 22 au 25 mars derniers. Des chiens ont été tués par balles en pleine rue à Ksar el-Kébir, puis jetés dans des camions-bennes.

L’opération avait été annoncée en grande pompe quelques jours auparavant par la mairie sur les réseaux sociaux, parlant d’opération d'abattage des chiens errants pour des "problèmes de santé publique et de sécurité des habitants" entre minuit et 5 heures du matin. La mairie justifiait l’opération par de multiples cas de passants mordus ces trois dernières années.

Cette annonce a pris une autre dimension lorsque des images ont été diffusées le 24 mars sur les réseaux sociaux. Une vidéo de 7 minutes diffusée par KsarForum (visible ci-dessous) montre que les personnes qui chassent les chiens semblent s’amuser, tandis que les animaux gémissent et se débattent.

ATTENTION, CES IMAGES PEUVENT CHOQUER

طاقم بوابة القصر الكبير في مواكبة لحملة قتل الكلاب الضالة بالمدينة* هذا الشريط يتضمن مشاهد قد لا تلائم الجمهور الناشئ 18+

Posté par ‎بـــوابـــة القصـــر الكبيـــر ksarforum.com‎ sur jeudi 24 mars 2016
Vidéo publiée par KsarForum, le 24 mars, montrant l'opération de chasse des 22 et 23 mars, à Ksar El Kébir.

"J’ai regardé par ma fenêtre, et j’ai vu comment ils ont tué et maltraité un chien"

Indignés par la violence de l’opération, une dizaine d’habitants s’est constituée en groupe de surveillance pour patrouiller en ville. Ayman Benazzouz en a fait partie.

Même si nous avions été prévenus des coups de feu, nous estimions qu’il était dangereux de tirer à balle réelle dans des quartiers résidentiels. Les rues sont étroites, et de nuit, la visibilité est mauvaise. Nous avons déposé une pétition à la mairie, qui ne nous a jamais donné de réponse.

La première nuit, alors que nous dormions, nous avons entendu des tirs dans notre quartier. Les enfants étaient terrorisés. J’ai regardé par ma fenêtre, et j’ai vu comment ils ont tué et maltraité un chien.

La nuit suivante, on est sorti pour surveiller ce qu’ils faisaient, en restant discrets. Mais dans un quartier de la ville, nous sommes tombés face-à-face, et l’opposition a quasiment tourné à l’affrontement. Ce n’étaient ni des policiers, ni des personnes que nous connaissions à la mairie. Nous avons réussi à les chasser en leur disant qu’ils faisaient n’importe quoi et qu’ils terrorisaient les habitants. Ils nous ont répondu par des insultes.

C’était un vrai massacre [200 chiens ont été abattus, en seulement trois jours selon la mairie, ndlr]. Dans le lot, il y a le chien vacciné d’un gardien de parking qui a même été tué. L’opération n’a pas eu lieu le 25 au soir, grâce à la pression des associations, mais aussi parce que les chasseurs avaient exterminé la plus grande partie des chiens [selon la municipalité, le ministère de l’Intérieur serait lui-même intervenu pour demander l’arrêt de l’opération, ndlr].

"Des chiens viennent manger les cadavres des chiens abattus et laissés dans une décharge"

Au-delà des scènes de cruauté insoutenables, des responsables associatifs s’inquiètent de la gestion des cadavres. Dans un reportage diffusé par 2M, une télévision nationale publique, les corps des chiens sont visibles dans une décharge publique à un peu plus de 2 km du centre-ville de Ksar El Kébir.

Les activistes affirment que la municipalité les aurait jetés là. De son côté, la mairie affirme avoir enterrés ces chiens, et ne pas savoir comment ces corps se sont retrouvés là. Elle évoque un "cas de malveillance ".

Nadia Daoudi, qui s'est rendue dans la décharge où les cadavres des chiens se trouvent, affirme que des enfants qui viennent ramasser des objets côtoient à quelques mètres les corps morts des chiens. Sur les images, on voit également des ânes et des oiseaux. Photos maître Serraji.

Contactée par France 24, Nadia Daoudi, militante de l’association ASPAE Atlas de défense des animaux explique :

Près de 150 personnes vivent autour de cette décharge, et très souvent, des enfants y entrent même à la recherche d'objets qu’ils pourraient réparer et revendre au souk. On nous explique que l’opération est faite pour des raisons sanitaires, mais on laisse des cadavres en putréfaction près d’un endroit où vivent des gens ! Des chiens viennent aussi dans cette décharge, et risquent de manger ces cadavres… donc si ce sont bien des cas de rage, ils risquent de se propager.

La militante affirme avoir proposé à plusieurs reprises son aide à la mairie, sans succès. Son association, accompagnée de deux autres, "Comme chiens et chats" et "Le Cœur sur la Patte", ont porté plainte contre la municipalité de Ksar el-Kébir. Un appel aux dons a également été lancé sur Internet.

Contacté par France 24, le président de la commune de Ksar el-Kébir se justifie :

Depuis trois ans, j’ai reçu beaucoup de plaintes des écoles et de la population qui nous demandaient de les débarrasser de ces animaux. J’ai reçu des pétitions, et nous avons recensé 1 557 cas de morsures par des chiens. Après une réunion avec les responsables vétérinaires et les autorités sanitaires, nous avons pris la décision de cette opération. Aucune association ne m’a proposé de les vacciner, et moi je n’ai de pas les moyens financiers de le faire. Actuellement, il reste environ 1 300 chiens errants dans les rues de Ksar el-Kébir.

Si des opérations de ramassage des chiens par les fourrières sont fréquentes au Maroc, notamment à Casablanca, des militants s’inquiètent de la recrudescence de ce type d’opération depuis fin 2015.

Ces méthodes violentes ne sont pourtant pas utilisées partout au Maroc : des villes comme Agadir ou Taghazout, ont quant à elles mis en place des opérations de ramassage et de vaccination de ces animaux errants en lien avec des associations.