Pour naviguer sur internet, les proches du pouvoir iranien enfreignent leurs propres lois
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C’est une image révélatrice de l’hypocrisie qui règne autour de la censure d’internet en Iran. La chaine de télé Al Alam, qui émet en arabe et appartient à la télévision publique iranienne, a diffusé il y a quelques jours un capture d’écran du compte Twitter du ministre des Affaires étrangères, Javad Sarif. Or, cette chaine n’aurais jamais dû avoir accès aux tweets du ministre.
A première vue, cette capture d’écran n’a pourtant rien de spécial. Mais en y regardant de plus près, en haut à gauche de l’écran, on remarque le logo "VPN", signifiant "virtual private network", ou réseau privé virtuel, un système créant une connexion sécurisée et cryptée entre un internaute et les sites internet qu'il visite. Le recours à cette technologie a donc permis aux journalistes de la chaine d’accéder au compte Twitter du ministre.
Même les députés violent les lois qu'ils votent...
Pourtant, les VPN eux-mêmes sont interdits par le régime iranien. De même que les logiciels comme Psiphon, qui permet de créer des VPN, ou Tor, un réseau superposé permettant de rendre la connexion anonyme. Ceci n’empêche pourtant pas leur utilisation, y compris visiblement dans les organes émanant du pouvoir. Ou même par les députés iraniens, comme l’affirme Amin Sabeti, un Iranien spécialiste de la sécurité des réseaux informatique, basé à Londres.
Bien sûr que des officiels, même s’ils ne sont pas dans les premiers cercles du pouvoir, utilisent des VPN. J’en suis personnellement informé par un ami qui travaille au parlement iranien et qui m’a rapporté avoir déjà vu des députés y recourir pour se rendre sur des réseaux sociaux mais aussi des sites interdits. Vous imaginez un peu ? Ce sont les mêmes députés qui ont voté l’interdiction des réseaux sociaux et pénalisé les utilisateurs de proxys…
Dans une interview au journal public pro-régime Quds, le député Iman Abadi Rasht confirmait récemment utiliser des anti-proxys pour pouvoir accéder à certains "sites scientifiques", dans le cadre de ses "recherches", jurant cependant que ces sites n’affichaient "aucun contenu non autorisé".
Comme lui, les responsables qui se rendent sur des sites non autorisés violent la loi iranienne, qui prévoit, pour usage de technologie illégale, des peines allant de 91 jours à un an de prison.
A l’instar du ministre des affaires étrangères, plusieurs hauts dirigeants iraniens ont eux aussi leurs comptes sur les principaux réseaux sociaux. On trouve ainsi des comptes certifiés d’Ali Khamenei, le Guide suprême de la Révolution, sur Twitter, Facebook , Google + et même Instagram , ou un comptes Twitter ou Facebook pour Hassan Rohani, le président iranien. Rien de plus facile pour ces dignitaires, explique Amin Sabeti :
Pour certains dirigeants au sommet de l’Etat, il y a même des techniques encore plus simple. Une personne se connectant à Facebook avec une adresse IP [l’adresse de leur appareil de connexion] normale sera bloquée, mais les dirigeants peuvent agir sur le système de blocage qu’ils ont mis en place et lui demander d’autoriser leur propre adresse IP. Et ils peuvent ainsi s’octroyer l’accès à tous les sites qu’ils veulent.
Des millions d’Iraniens naviguent aussi sur les sites interdits
L’interdiction des connexions cryptées n’est pas contournée que par les dirigeants iraniens . En réalité, des millions d’Iraniens y recourent pour utiliser les principaux réseaux sociaux. Ainsi, Facebook compterait 12 à 17 millions d’utilisateurs en Iran. Telegram, l’application de messagerie, en compterait plus encore, avec quelque 23 millions d’utilisateurs, et pour cause : le président iranien, Hassan Rohani, au pouvoir depuis 2013, est très favorable aux réseaux sociaux, et s’il n’a pas réussi à obtenir la levée des interdictions sur Facebook ou Twitter, il parvient pour l’instant à ce que Telegram reste libre d’accès.
Pour accéder aux sites interdits, les Iraniens achètent en ligne des VPN pour quelques euros, ou se les font fournir par des amis vivant à l’étranger. Sans cette technique, outre les réseaux sociaux, de nombreux sites de médias étrangers ne sont pas accessibles en Iran. Ainsi, le site de France 24 est autorisé, mais l’accès au site des Observateurs, dont nous avons une version en persan, est interdit.
Officiellement, les internautes iraniens prennent des risques. Mais vu le nombre de personnes contrevenant à la loi, il est rarissime que l’utilisateur d’un site interdit soit arrêté et condamné pour avoir navigué sur Twitter par exemple. Mais par contre, il peut être réprimandé s’il publie des propos ou des liens qui déplaisent au régime.
En 2013, 46 millions d’Iraniens utilisaient internet, soit 61.5% de la population, une proportion en augmentation constante.