CAMEROUN

La mort atroce d’une femme enceinte provoque un scandale à Douala

Photo envoyée par notre Observatrice lors de la manifestation à Douala.
Photo envoyée par notre Observatrice lors de la manifestation à Douala.
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De nombreux contributeurs nous ont envoyé une vidéo particulièrement choquante qui a suscité l’émoi à Douala, au Cameroun. La scène se déroule devant l’hôpital Laquintinie, samedi 13 mars au matin : une femme vient d’être refoulée de l'hôpital, un médecin ayant constaté son décès. Cette femme étant enceinte de jumeaux et sur le point d’accoucher, sa sœur a pensé sauver les enfants en lui ouvrant le ventre à l'aide d'une lame, à même le sol. Mais les enfants étaient déjà morts.

Nous avons décidé de ne pas publier cette vidéo, qui a a suscité une vague d’indignation au Cameroun et lancé une polémique sur la prise en charge des malades dans le pays.

La famille de la victime, Monique Koumate, a témoigné dans la presse locale et expliqué que la femme était vivante à son arrivée aux urgences. Celle-ci n’aurait pas été prise en charge, faute de pouvoir payer la totalité des frais d’hospitalisation. La famille dit avoir supplié le personnel médical, en vain. Mais la version des autorités diffère : pour le ministre de la Santé, la femme enceinte était déjà morte à son arrivée à l’hôpital.

 

Photo prise lors de la manifestation et envoyée par notre Observatrice.

 

Dimanche, une centaine de manifestants se sont rassemblés devant l’hôpital avec des banderoles "Plus jamais de Monique Koumate dans mon pays". Notre Observatrice Stéphanie, habitante de Douala, y était.

"À cause de ce système, les plus pauvres n’ont pas accès aux soins"

J’ai été très touchée par cette histoire, d’autant plus que ce genre de drame arrive très fréquemment au Cameroun, à cause du montant à payer pour être pris en charge rapidement dans les hôpitaux. Il faut en effet payer une "caution" avant de voir un médecin ou de se faire opérer.

Il y a deux ans, ma sœur a failli mourir à l’hôpital dans des circonstances quasi similaires. Lors de son accouchement, elle était à l’hôpital mais il y a eu des complications. La seule solution était de procéder à une césarienne. Or, pour avoir une césarienne, il fallait qu'elle paye près de 20 000 francs CFA [30 euros].

 

MANIFESTATION A LAQUINTINIE

MANIFESTATION DEVANT L'HOPITAL LAQUINTINIESE TAIRE, NE RIEN FAIRE, ETRE NEUTRE EST PIRE QUE CRIMINEL!RAPPEL DES FAITS:Une femme qui décède devant un hôpital faute de moyen. Arrivée à l’hôpital les médecins refusent de la prendre en charge parce qu'elle n'a pas d'argent.. Chose surprenante ce sont ses soeur qui ouvrent son ventre avec une lame rasoir pour essayer de sauver les bébés. Quel images pour le Cameroun .Les bébés sont-ils vivant ? ......Malheureusement aux dernières nouvelles ils ont aussi perdus la vie grâce à ceux qui ont prêter serment de sauver des vies humaines. .Que c'est pathétique pour les hôpitaux du CamerounQuel sadisme et méchanceté au point de laissé mourir 02 bébés innocent. ..Une plainte doit être déposer contre cette instance criminelle sur cet acte de non assistance à personnes en danger et de plus pire encore des bébés. ..Que la communauté internationale sur le programme de la santé saisisse cet affaire qui ne doit rester sans suite afin que justice soit faite pour ces bébés innocent. ..ceci pour en sauver d'autres qui peuvent subir le même sortMAINTENANT PLACE A LA MANIPULATION :Faites Attention! Les agents de manipulation de l’opinion nationale et internationale sont deja en marche. Une premiere tentative de manipulation qu’ils essayent de faire passer est de dire que Monique et ses bebe étaient deja décédés avant d’arriver a Laquintinie (Dites meme qu’ils sont morts 4 jours avant). Une autre tentative de manipulation veut faire croire q l’opinion que la courageuse soeur de monique serait l principale responsable du drame ceci juste pour dédouaner les médecins et infirmiers principaux responsables de ce drame.

Posted by Vert Rouge Jaune on Sunday, March 13, 2016
Vidéo de la manifestation de dimanche publiée sur les réseaux sociaux

Elle n’avait pas cet argent sur elle à ce moment parce qu’elle ne pensait pas avoir besoin d’une césarienne. Du coup, les médecins n’ont pas voulu intervenir. Il a fallu attendre que ma famille récupère de l’argent et le lui apporte pour qu'ils se mettent au travail… Entre temps, ma sœur aurait pu perdre la vie. À cause de ce système, les plus pauvres n’ont pas accès aux soins et les opérations artisanales comme celle que l’on voit dans la vidéo sont malheureusement assez fréquentes.

Joël est journaliste indépendant à Douala.

 

Ce drame aurait pu rester un fait divers, mais deux éléments expliquent qu’il ait eu de l’importance. D’abord, il y a cette vidéo de la césarienne qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux.

Ensuite, il faut savoir que c’est la deuxième fois qu’une femme enceinte décède à Douala en moins de deux mois. En janvier, une jeune femme était déjà décédée à l’hôpital de Douala dans des circonstances non élucidées

J’ai assisté à la manifestation avec près de 200 personnes. Les manifestants demandaient la démission du directeur de l’hôpital et la libération de la sœur de la victime, celle qui a procédé à une césarienne à même le sol, interpellée par la police.

Malheureusement, la manifestation a rapidement été étouffée : les forces de l’ordre ont tiré sur les manifestants à coup de gaz lacrymogène...

 

Les manifestants dispersés à coups de gaz lacrymogène. Photo envoyée par notre Observatrice.

 

Contacté par France 24, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, a pris la défense de l'hôpital en avançant une toute autre version des faits. Celui-ci explique que la femme était déjà morte en arrivant à l'hôpital et que la famille avait été orientée vers la morgue. Il a également affirmé qu'une circulaire stipule qu'il n'est pas nécessaire d'avancer de frais médicaux avant une consultation ou une opération. 

 

Peut-être qu’elle était déjà morte, mais ça n’explique pas qu’on ne la prenne même pas en charge et qu’on laisse la famille se débrouiller avec elle.

Ensuite, il est fréquent que des femmes enceintes décèdent à domicile faute d’un bon suivi de grossesse. Il est possible que la famille de cette femme l’ait emmenée trop tard à l’hôpital mais malheureusement, dans de nombreuses familles, on va voir le médecin en dernier recours. Il y a le problème du coût de l’hôpital, mais aussi un problème d’ "éducation à la santé" dans le sens où les Camerounais vont souvent se faire soigner quand il est déjà trop tard.

Face à cette affaire, le gouvernement est sous pression. Dans un communiqué, le MRC (Mouvement pour la Renaissance au Cameroun) a appelé le gouvernement à organiser une "concertation nationale avec les professionnels de la santé" pour proposer des solutions aux dysfonctionnements des hôpitaux camerounais. Selon la presse locale, le député Peter William Mandio, élu du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) a même exigé la démission du ministre de la Santé.

Selon une enquête de l’OMS en 2011, le ratio de mortalité maternelle était de 782 décès pour 100 000 naissances. Un chiffre bien au-dessus de la moyenne mondiale. Toujours selon l'OMS, le ratio de mortalité maternelle dans les pays en développement était, en 2015, de 239 pour 100 000 naissances, contre 12 pour 100 000 dans les pays développés. Jugeant ces statistiques "inacceptables", le ministre de la Santé André Mama Fouda avait lancé en 2014 un programme pour lutter contre ce fléau.