Une pancarte avec la question "Où est passée l'humanité?" devant un camp de réfugiés situé dans une base militaire britannique à Chypre. Toutes les images ont été envoyées par les personnes vivant sur place.
Une centaine de migrants ont débarqué sur une base militaire britannique située à Chypre, en octobre dernier. Depuis, les autorités locales ont accordé l’asile à la majorité d’entre eux. Mais ceux ne l’ayant pas obtenu se trouvent désormais dans l'impasse, bloqués sur place depuis quatre mois.
Ces migrants - principalement des Syriens, des Libanais et des Palestiniens - sont arrivés sur la base militaire britannique d’Akrotiri, dans le sud de l’île, le 21 octobre dernier. Partis du Liban, ils faisaient route vers la Grèce à bord de deux bateaux, avant d’être stoppés par des problèmes techniques, puis secourus par les militaires.
À l’époque, le Royaume-Uni - qui dispose de deux bases militaires dans son ancienne colonie - avait immédiatement fait savoir qu’il refuserait toute demande d'asile sur son territoire. "Nous avons un accord en place avec la République de Chypre depuis 2003 pour veiller à ce que les autorités chypriotes prennent en charge des cas comme celui-ci", avait indiqué le ministère de la Défense.
Les migrants avaient ensuite été transférés sur la deuxième base militaire britannique de l’île, à Dhekelia. Au mois de novembre, le porte-parole des forces britanniques à Chypre avait indiqué qu’ils devaient impérativement demander l’asile politique sur place, sous peine de se faire expulser de la base.
"La seule solution : reprendre la bateau pour aller en Turquie clandestinement"
Bilal (pseudonyme) est un Palestinien âgé de 26 ans. Il a débarqué à Chypre le 21 octobre dernier, et est actuellement bloqué sur la base militaire britannique de Dhekelia.
On nous a dit qu’on ne pouvait pas demander l’asile politique au Royaume-Uni et en Grèce, donc on a tous demandé l’asile ici, même si personne ne souhaitait rester à Chypre. Tous les Syriens ont reçu une réponse favorable, de même que certains Palestiniens. Ils ont donc pu quitter la base militaire. Mais on est encore une trentaine sur place, en attente d’une réponse ou ayant déjà essuyé un refus. Du coup, ça fait quatre mois qu’on est bloqué sur la base. On n’a pas le droit de la quitter, même s’il est possible de sortir en enjambant une barrière.
Les tentes du camp se sont envolées à cause du vent, il y a un mois environ.
Ici, on vit dans des tentes, où on dort dans des petits lits. Mais elles se sont envolées il y a un mois, à cause du vent. Il a donc fallu les réinstaller. Il y a deux mois, il y a également eu un incendie dans une tente, en raison d’un court-circuit. On reçoit trois repas par jour, mais la nourriture est mauvaise.
Un incendie a ravagé une partie du camp, il y a deux mois.
On a reçu très peu d’aide depuis qu’on est arrivé à Chypre. Par exemple, il est assez compliqué de se faire soigner. Des médecins sont venus nous examiner au début. Mais seul un médecin est revenu ensuite, alors qu’il y a eu plusieurs cas de gastro-entérite, sans compter qu’une dizaine d’enfants vit toujours dans le camp. Un bébé est même né dans l’une des tentes !
Une dizaine d'enfants vit encore sur la base militaire de Dhekelia, quatre mois après leur arrivée à Chypre.
Deux organisations sont venues nous voir, mais seulement une fois. Tout d’abord, l'ONG KISA a évalué nos besoins et apporté quelques vêtements. Puis, des gens du programme AVR Cyprus sont venus et ont dit qu’ils pouvaient nous aider à retourner au Liban, ou à rejoindre le Brésil ou le Venezuela, si on ne voulait pas retourner là-bas. Apparemment, il est assez facile apparemment d’obtenir des papiers pour aller dans ces deux pays.
En ce qui me concerne, ma demande d’asile pour Chypre a été rejetée la semaine dernière. Il est toutefois possible de formuler une autre demande dans les vingt jours suivant le refus. Mais je suis presque sûr que j’aurai une réponse négative à nouveau...
Les Britanniques ont dit qu’ils allaient nous renvoyer au Liban si notre demande d’asile était rejetée. Mais pour moi, il est hors de question de retourner là-bas. Du coup, j’ai décidé de quitter Chypre pour rejoindre la Turquie clandestinement. J’ai déjà payé 2 000 euros à un passeur pour prendre un bateau dans les prochains jours. Ici, tout le monde veut faire pareil. Certains sont d’ailleurs déjà partis en Grèce et en Turquie.
Certains migrants pourraient rester sur la base militaire de Dhekelia durant encore longtemps.
Contactée par France 24, l’ONG Kisa précise que certains migrants ne peuvent toutefois pas être expulsés de Chypre, si leur pays d’origine est considéré comme dangereux. "Du coup, certains d’entre eux vont peut-être rester dans la base encore un moment. Pour eux, la meilleure solution est donc d’obtenir un visa dans un pays tiers, comme le Brésil ou le Venezuela", indique l'ONG.
Peu de migrants sont arrivés à Chypre jusqu’à présent - contrairement à la Grèce - bien que l’île se trouve à une centaine de kilomètres des côtes syriennes. De fait, ils souhaitent généralement éviter de se retrouver bloqués dans un État n’appartenant pas à l’espace Schengen - bien que membre de l'Union européenne - et disposant de capacités d’accueil limitées.
Depuis fort longtemps, Chypre est en effet devenue une impasse pour les migrants, à l'image de ceux bloqués sur la même base militaire que Bilal depuis 17 ans.