La disparition programmée des potagers historiques d'Istanbul
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Vue aérienne des jardins de Yedikule.
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Alors que l'agriculture urbaine gagne en popularité dans plusieurs capitales, Istanbul a du mal à garder ses parcelles agricoles vieilles de plusieurs siècles. Des dizaines d’agriculteurs doivent aujourd’hui se battre pour continuer à travailler sur les terres qu’ils cultivent depuis des générations.
Le parc Yedikule [“Le château aux sept tours"], est cultivé par des fermiers locaux depuis plusieurs années. Il est situé juste derrière les remparts de la ville turque, qui protégeaient l’ancienne Constantinople. Le site est aujourd'hui protégé par l’Unesco.
Les cabanes des agriculteurs en train d'être détruites.
Mais les agriculteurs s'inquiètent. En janvier, une grande partie de leurs hangars et de leurs zones de stockage ont été démantelés de force. Ils craignent désormais de perdre leur jardin au printemps. Selon plusieurs témoignages dans la presse locale, la municipalité voudrait détruire ce parc pour des raisons de sécurité dit-elle, et pour y établir un parc de loisirs.
Ces jardins sont pourtant connus pour leur production de tomates, de menthe, de pommes de terre et de salades. De génération en génération, les fermiers se sont transmis leurs méthodes d'irrigation et de culture.
“Si nous perdons nos jardins, nous n'aurons plus de travail"
Cihan Kaplan a hérité de la ferme de son grand-père. Il est aujourd'hui le porte-parole des fermiers de Yedikule.
Mon grand-père, mon père, mes oncles, mes enfants : nous travaillons tous sur cette terre. Nous plantons tout ce qui y pousse et c’est de cela que nous vivons. Si on nous enlève notre terrain, nous n’aurons nulle part où aller. Puisque nous ne sommes pas propriétaire du terrain, nous payons depuis 16 ans des frais mensuels à la municipalité, c’est une sorte d’arrangement informel entre nous et la ville pour continuer à cultiver la terre.
Les jardins sous l'ére de l'empire Ottoman.
Les autorités ont déjà enlevé nos hangars, qui nous permettaient de stocker nos outils. Plusieurs parlementaires du parti au pouvoir, l’AKP, nous ont dit que les autorités ne toucheraient pas aux terres. Mais nous avons peur que cette promesse soit vaine.
Si nous perdons nos jardins, nous n'aurons plus de travail. Une trentaine de familles sont également dans ce cas. Nous, nous sommes six, mais certaines familles ont plus d'enfants.
Nous plantons du persil, de la menthe, de la salade, des tomates et pleins d'autres légumes. Normalement, nos cultures ne seront pas prêtes pour la récolte avant avril. Si le gouvernement vient et prend tout en mars, comme nous l’ont dit les employés de la mairie qui sont venus démanteler les hangars, nous n'aurons pas le temps de vendre quoi que ce soit.
Pour le moment, la mairie n'a pas communiqué sur ce qu'elle veut faire de nos jardins.
Contacté par France 24, le maire d’Istanbul, Kadir Topbas, n'a pour l'instant pas répondu à nos questions.
“Les jardins font partie d'un héritage unique et intangible"
Aslihan Demitras est architecte et maître de conférence à l'université Kadir Has.
Si nous protégeons le patrimoine historique et architectural de la vieille ville, alors ces jardins, qui existent depuis la construction des remparts, méritent également d'être protégés. Ils font partie d'un héritage unique et intangible.
Nous pouvons supposer que la mairie cherche à se préparer à la prochaine conférence sur le patrimoine organisée par l'Unesco à Istanbul, en juillet 2016. Ils aimeraient que les zones agricoles disparaissent pour rendre l'endroit plus attractif, notamment en remplissant les tranchées autour des remparts d'eau. Nous avons appris cela lors d'un rendez-vous avec une parlementaire membre de l'opposition qui a réussi à joindre le maire à ce sujet. L'édile lui a d’ailleurs également dit que les fermiers devaient tous êtres partis avant le 1er mars.
Nous avons organisé une réunion avec un groupe de fermiers, des historiens, des architectes pour présenter nos revendications et inviter le gouvernement à travailler avec les fermiers pour le développement du site. Ces jardins produisent de la nourriture qui est revendue localement. Et, à l'inverse des autres agriculteurs qui dépendent des subventions étatiques, ils sont autonomes. En plus, ils assurent un espace vert dans cette grande ville. Pour protéger ce paysage, il faut donc protéger les fermiers. "
Production des jardins de Yedikule.
Cette polémique a poussé Carlo Petrini, le fondateur du mouvement “Slow Food”, a apporter son soutien aux fermiers de Yedikule sur son site internet :
“L'acte de planter un potager peut sembler être un geste insignifiant en face de la complexité et de la gravité des problèmes de sécurité alimentaire. Mais, si une centaine de fermiers autonomes cultivent ces potagers et que des agronomes, des étudiants et des fermiers se rassemblent, ils ouvrent la voie à un futur plus durable et qui répond aux besoins des communautés locales".
Article écrit en collabraotion avec Van Meguerditchian, journaliste à France 24.