SYRIE

Témoignage d’un chauffeur de bus torturé par l’EI

Capture d'écran de la vidéo réalisée par notre Observateur
Capture d'écran de la vidéo réalisée par notre Observateur

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Le recours systématique à la torture et aux mauvais traitements infligés aux détenus par le gouvernement syrien a été largement documenté. Les clichés de Caesar, photographe syrien au service du régime et passé à l’opposition, recensant environ 11 000 personnes tuées en détention, ont contribué à mettre en lumière les pratiques du régime syrien. À l'inverse, la torture pratiquée sur les détenus aux mains de l’organisation État islamique (EI) est, elle, relativement peu documentée en dehors de la propagande faite par l'EI lui-même. Des lacunes auxquelles notre observateur à Al-Qamishli tente de pallier.

Akhten Asaad a filmé face caméra le témoignage d’un ancien détenu de l’EI.

Vidéo

Hajar Ali se confiant au journaliste syrien Akhten Asaad.

"Il avait surtout peur pour sa famille. Il ne voulait pas qu’elle reçoive une vidéo de sa décapitation."

Notre observateur à Al-Qamishli, qui se présente comme journaliste indépendant, nous raconte son travail pour documenter les cas de tortures de détenus aux mains de l’EI dans une région aujourd’hui largement contrôlée par les forces gouvernementales et les forces kurdes syriennes, alliées de circonstances.

Depuis quelque temps, je cherche à mettre en lumière les crimes commis par l’EI. La région échappe au contrôle de l’organisation mais il y a quelques cellules dormantes qui frappent de temps à autres. Comme lors des derniers attentats-suicide dans des restaurants à Al-Qamishli, revendiqués par l'EI. Il est plus simple de recueillir des témoignages dans des zones qu’ils ne contrôlent pas. La parole est bien sûr plus libre.

Manifestations d'eczéma sur les avant-bras suite à sa détention - Capture d'écran de la vidéo réalisée par Akhten Asaad.

Je suis allé à la rencontre de cet ancien otage à Hassaké. C’est un ami qui me l’a présenté. Je l’ai rencontré dans un entrepôt de bus. Il n’est pas le premier dont je recueille le témoignage. J’ai notamment entendu celui d’un conducteur de bus originaire de Kobané qui, comme lui, avait été pris en otage et torturé car il était kurde. Le témoignage de Hajar est cependant le premier que j’ai pu filmer à visage découvert et diffuser. Il n’avait pas peur de parler. Il n’a pas peur de la mort. Même en détention, il n’avait pas peur de la mort. Il avait surtout peur pour sa famille. Il ne voulait pas qu’elle reçoive une vidéo de sa décapitation. C’est l’horreur de cette possibilité qui l’effrayait.

J’ai été étonné d’apprendre que ses geôliers syriens se montraient plus cruels que les membres étrangers de l’EI [une information qui va dans le sens des témoignages recueillis par Human Rights Watch qui a documenté plusieurs cas de tortures aux mains de l’EI et travaille actuellement à recueillir de nombreux témoignages pour documenter les abus subis par d’anciens détenus de l’EI - NDLR]

Manifestations d'eczéma sur le dos suite à sa détention - Capture d'écran de la vidéo réalisée par Akhten Asaad.

Si deux des codétenus n’ont pas pu échapper à la mort, lui a bien heureusement pu être libéré. De nombreux témoins ont attesté devant un tribunal religieux qu’il ne faisait partie d’aucun groupe militaire ou politique kurde.

Aujourd’hui, cela fait un moment qu’il a été libéré. Mais il garde encore les traces de cette peur vécue en détention. Cette maladie de peau, qui le gratte et le brûle sans cesse, est une conséquence de ce passage en enfer. [L'eczéma, maladie qui peut être chronique et se manifeste par d'intenses démangeaisons peut surgir après un traumatisme psychologique, NDLR]. Torturé jour et nuit, frappé à l’aide d’un bâton, avec une violence sans borne. De tout ça, il ne s’en est toujours pas remis. Il a du mal à marcher et psychologiquement, il est atteint. Aujourd’hui, il continue de faire des cauchemars qui le ramènent en détention, même s’ils sont moins fréquents qu’au début.

Les forces kurdes sont également pointées du doigt pour leur non-respect du droit des détenus, notamment le droit à un procès équitable et la liberté de ne pas subir de détention arbitraire.

Human Rights Watch pose également la question de l’utilisation de la torture et de mauvais traitements de détenus aux mains des forces kurdes. Plusieurs cas leur auraient été rapportés.