Erreur de France 3 sur "des images de massacre au Burundi"
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Dans un sujet diffusé, mercredi 13 janvier, dans le programme le Grand Soir 3, la chaîne de télévision France 3 a présenté des extraits d’une vidéo extrêmement violente comme ayant été tournée en début de semaine au Burundi. Or, il apparaît que la vidéo est plus ancienne et que la langue qui y est parlée est le hausa, pratiqué en Afrique de l’Ouest et non au Burundi.
France 3 a obtenu ces images auprès de l’avocat belge Bernard Maingain, spécialiste du Rwanda et du Burundi. Dès le début du sujet (voir la vidéo ici), intitulé "Preuves d'exactions au Burundi", le commentaire affirme qu’elles ont été tournées il y a "deux jours", soit le 11 janvier. Or, une vidéo dont elles sont extraites a été postée sur YouTube le 22 décembre 2015. Elles datent donc au moins d’il y a trois semaines. Ces captures d’écran, réalisées à partir de la vidéo postée sur YouTube, correspondent exactement aux images diffusées par France 3.
Capture d'écran de la vidéo postée le 22 décembre sur YouTube. Une des vicitmes est prise par les pieds pour être jetée dans une petite fosse, la même image est visible au début du reportage de France 3.
Deux des vicitmes sont allongées. Ce plan extrait de la vidéo YouTube est visible dans le sujet de France 3, le short jaune de la vicitme et le t-shirt bleu du bourreau permettent aisément de l'assurer.
Un des bourreaux au t-shirt bleu frappe une des victimes. Cette capture d'écran de la vidéo YouTube est visible dans le sujet de France 3.
Par ailleurs, France 3 affirme que les images ont été tournées à Karuzi au nord-est de Bujumbura. "L’horreur absolue. Trois jeunes opposants [au pouvoir burundais] assassinés, égorgés et émasculés par des bourreaux enthousiastes", poursuit le commentaire de la vidéo, qui ajoute que les scènes ont été filmées "sur un terrain appartenant au parti du président burundais".
Or, plusieurs de nos Observateurs au Burundi sont formels : la langue que l’on entend dans la vidéo n’est pas du kirundi, la langue officielle et majoritaire du pays. France 24 a pu identifier la langue parlée : il s’agit du hausa, usité notamment au Nigeria et au Niger, à des milliers de kilomètres du Burundi. Il y a donc très peu de chances que cette scène ait été tournée à Karuza, sur un "terrain du parti au pouvoir ", comme l’indique le sujet diffusé par la chaîne française.
Violences quotidiennes
Contacté par France 24, Bernard Maingain explique avoir dit à France 3 qu’il avait reçu ces images "48 heures auparavant" mais ne pas avoir affirmé qu’elles avaient été tournées le 11 janvier. Il ajoute : "Ma source au sein de l’armée burundaise m’a dit avoir reçu ces images d’une personne se trouvant à Karuzi, et qu’elles étaient montrées dans le cadre de l’entraînement des Imbonerakure [milice de jeunes ultra-violente favorable au régime de Pierre Nkurunziza, ndlr] à Karuzi".
"J’ai donc d’abord supposé qu’elles avaient été tournées là-bas. Plus tard dans la soirée de mercredi j’ai été informé que la langue utilisée dans la vidéo n’était pas le kirundi, et j’ai donc douté que les images aient été tournées au Burundi" dit-il. Bernard Maingain ajoute ne pas avoir affirmé à France 3 que les images avaient été tournées à Karuzi, et avoir incité la chaine à en vérifier l’origine. L’avocat assure n’avoir jamais mentionné à France 3 que les personnes torturées étaient des opposants au pouvoir burundais.
"Si la vidéo s’avère fausse, nous le dirons dans notre prochaine édition" assure France 3
Jean-Jacques Basier, rédacteur en chef du Grand soir de France 3, contacté par France 24, explique pour sa part :
C’est notre journaliste Luc Lagun-Bouchet qui est venu me voir pour me parler de cette vidéo. Elle lui avait été donnée par un avocat belge [Bernard Maingain] qui est une de ses sources régulière d’information sur le Burundi. Selon cet avocat, il s’agissait d’un massacre d’opposants au Burundi. Il nous l’a affirmé et nous avons l’enregistrement de notre conversation téléphonique qui le prouve. Après enquête, nous nous sommes aperçus que la langue parlée dans la vidéo n’était pas une langue du Burundi. Luc Lagun-Bouchet m’a donc expliqué qu’il s’agissait de miliciens congolais à la solde du pouvoir burundais. Nous avons remanié le sujet en ce sens, que j’ai ensuite validé, sachant que c’est cohérent avec les récits d’exactions ce que l’on entend sur place. Si la vidéo s’avère fausse, nous le dirons dans notre prochaine édition. Nous avons travaillé en toute bonne foi, car il est important de parler des massacres commis dans ce pays.
Dans l’après-midi de jeudi, la présidence burundaise a affirmé qu’elle comptait "porter plainte "contre la chaîne française et Bernard Maingain, sans préciser le motif juridique.
Il reste qu’à la fin du sujet de France 3, l’historien David Gakunzi estime que "chaque jour dans tout le pays, on enlève des jeunes, on les torture, on les tue, on les mutile. Cela est fait par des miliciens ou la garde présidentielle". Cette analyse correspond à une réalité que confirment nos Observateurs depuis plusieurs mois. Depuis la tentative avortée de coup d’Etat le 13 mai, contre le président Nkurunziza, lequel a finalement été réélu pour un troisième mandat en juillet, les exactions, y compris contre des civils, sont quotidiennes au Burundi, comme nous le relatons régulièrement.