Côte d'Ivoire

Des habitants d’Abobo expulsés par une "députée entrepreneur"

Près de cent familles sont à la rue depuis le début du mois d’octobre à Anonkoua Kouté.
Près de cent familles sont à la rue depuis le début du mois d’octobre à Anonkoua Kouté.
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Notre observateur en Côte d’Ivoire est allé à la rencontre des habitants d’un quartier d’Abobo, dans le district d’Abidjan, qui vivent dans les ruines de leur maison à la suite d'un conflit foncier avec une entreprise immobilière, détenue par une députée locale.

On ne compte plus les habitants délogés à Abidjan. Des milliers d’Ivoiriens vivant dans des bidonvilles ou des zones insalubres ont été chassés de leur habitation par les forces de l’ordre dans le cadre d’une vaste politique d’urbanisation menée par le gouvernement. Nous avions par exemple suivi le cas des "arnaqués "du bidonville de Cocody Washington, aujourd’hui "déguerpis".

Selon notre observateur, il ne s’agissait pas d’un bidonville, les maisons étaient en bon état.

Mais cette fois-ci, la situation est différente car il ne s’agit pas d’un bidonville qui est en passe d’être rasé. Notre observateur Soulaimana Sanogo s’est rendu à Anonkoua Kouté, un quartier de la commune d’Abobo, où les habitants voient leur maison détruite à coup de bulldozers. La société immobilière Sotrapim, dirigée par la députée Véronique Aka, député du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), a en effet acquis le terrain et elle souhaite aujourd’hui le faire fructifier.

"Même les habitants qui avaient commencé à racheter leurs parcelles ont été délogés"

Ici, il ne s’agit pas d’un bidonville ou de logements insalubres, toutes les maisons étaient en très bon état. La plupart des habitants du quartier d’Anonkoua Kouté, dans la commune d’Abobo, se sont installés à la fin des années 1990, après avoir acheté leur terrain aux chefs de village. La société de madame Véronique Aka a voulu racheter l’ensemble des parcelles habitées, soit près de 64 hectares. J’ai eu accès au contrat qui stipule les modalités de la cession entre la société et la communauté des villageois. La société Sotrapim a été déclarée propriétaire des terrains mais, selon les villageois, elle n’a pas payé l’intégralité de ce qu’elle devait à la communauté.

Les villageois tentent de s’organiser pour vivre, dans les gravas.

Finalement, la société a proposé aux habitants de racheter leur terrain. J’ai rencontré des habitants qui m’ont en effet montré les actes de notaire prouvant qu’ils ont commencé à payer pour racheter leur bien. Le problème, c’est que la procédure n’a jamais été très claire : un prix au mètre carré avait été établi, mais la taille des lots n’ayant pas été délimitée, personne ne savait vraiment combien il devait payer. Début octobre, des bulldozers sont arrivés pour raser le quartier. Même les habitants qui avaient commencé à payer sont délogés.

Interrogée à ce sujet, la députée Véronique Aka dément fermement les accusations des villageois. Selon elle, les terrains ont été achetés de façon légale par sa société, une information confirmée par la notaire, maître Yolande Foldah Kouassi, qui a suivi l’affaire. En ce qui concerne les habitants qui avaient commencé à racheter leurs parcelles, la députée explique : "La société attend cet argent depuis trop longtemps déjà, la situation ne pouvait plus durer ".

Au-delà de la question d’un possible conflit d’intérêt éventuel, compte tenu des fonctions politiques de Véronique Aka, c’est la précarité des habitants du quartier qui préoccupe le plus notre observateur.

"Personne ne sait où aller "

À Anonkoua Kouté dimanche [29 novembre], il y avait déjà près de 100 familles dehors. La population est désemparée, certains habitants se construisent des petites baraques pour ne pas dormir dehors. Ils vivent dans les gravas, dans une immense précarité.

Notre observateur nous raconte que cette femme s’est évanouie lorsqu’elle a vu les bulldozers raser sa maison.

Du côté des habitants dont la maison n’est pas encore détruite, l’angoisse est palpable. Une dame qui vit avec sa mère très âgée m’a dit qu’elle avait peur dès qu’elle entendait le bruit des bulldozers.

Les enfants délogés du quartier ne vont plus à l’école.

Quand les personnes chargées de la démolition arrivent avec leurs machines, des policiers les accompagnent pour s’assurer que les habitants ne s’y opposent pas. J’ai vu un garçon qui avait une blessure au genou. Quand je lui ai demandé comment il s’était fait ça, il m’a expliqué qu’il avait tenté d’empêcher la destruction de sa maison mais que des policiers s’étaient interposés et l’avaient frappé. Une dame était allongée par terre : elle était tellement désespérée de voir sa maison cassée qu’elle s’est évanouie. Les enfants ne vont plus à l’école, les familles n’ont plus rien. Personne ne sait où aller.