AFGHANISTAN

Lapidation de Rokhshana : "Il est trop facile de blâmer uniquement les Taliban"

Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.
Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.
Publicité

La scène a eu lieu le 25 octobre. Sur les images, que France 24 a choisi de ne pas diffuser, une femme, le corps enterré, est lapidée par un groupe d’hommes. Si les Taliban sont immédiatement montrés du doigt par les autorités afghanes, sur place, nos Observateurs affirment que le groupe fondamentaliste musulman n'est pas le seul à pratiquer ce type de châtiment barbare contre des femmes.

La scène de lapidation a eu lieu à dans la région de Ghalmin, dans la province de Ghor. Sur les images, la victime crie de douleur sous les jets de pierre d’une dizaine d’hommes.

Contacté par France 24, Abdolhay Khatibi, porte-parole de la province, explique : "C’était à proximité de la capitale de la province Firouzkoh. Les Taliban ont lapidé une femme de 19 ans jugée coupable d’adultère [appelée Rokhshana, NDLR]. Elle s’était enfuie avec un garçon mais les Taliban les ont rattrapés. Le jeune homme a reçu 100 coups de fouet et la fille a été condamnée à la lapidation car elle était mariée à un autre homme."

Le porte-parole ajoute que plusieurs personnes ont été identifiées sur la vidéo. "Si nous les arrêtons, ils seront accusés de meurtre mais force est de constater que les Taliban contrôlent la région et font ce qu’ils veulent. La seule solution serait que la population se soulève contre eux."

Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.

Malgré les différents programmes portés par des ONG de premier plan, les violences faites aux femmes restent courantes en Afghanistan, bien que difficiles à répertorier précisement. En 2014, plus de 4 000 plaintes de femmes pour violence ont été recensées dans le pays. Un chiffre non représentatif puisqu’il est très rare que les victimes osent témoigner, a fortiori dans les régions les plus reculées. D’une part parce qu’elles subissent des pressions de leur entourage, d’autre part parce qu’elles ont peur de "salir" leur nom et celui de leur famille.

Le premier cas de lapidation enregistré par les ONG après la chute des Taliban en 2001 aurait eu lieu en 2010 à Kunduz. Mais les medias locaux en ont recensé deux précédentes en 2005 dans la région du Badakhchan.

Et depuis quelques années, les violences contre les couples adultères semblent plus courantes encore, probablement parce qu’elles sont plus souvent documentées grâce aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux. Il y a seulement deux mois, les médias afghans rapportaient la lapidation d’un couple dans la région de Sar-é Pol. En 2011, c’était une mère et sa fille à Ghazni, tandis qu’en 2013, c’est un mari trompé qui dénonçait sa femme aux Taliban. Les Afghanes sont aussi régulièrement victimes d’attaques à l’acide, d’amputation des oreilles ou du nez, des crimes d’honneurs courants dans le pays.

Et ces violences ne sont pas limitées aux zones contrôlées par les Taliban, mais ont aussi cours dans des régions totalement contrôlées par le gouvernement, expliquent nos Observateurs. Des châtiments ont d’ailleurs eu lieu en présence de responsables locaux ou de la police.

Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.

"Toujours accuser les Taliban des violences contres les femmes, c’est un moyen de se dédouaner"

Abdollah Saljoqi est journaliste et vit à Herat.

Pour les responsables officiels, attribuer systématiquement ces violences aux Taliban est un très bon moyen de se dédouaner de toute responsabilité.

Rappelons-nous qu’en 2013, les autorités se sont demandées s’il ne fallait pas réintroduire la lapidation dans la loi [Le rétablissement de la lapidation était prévu dans un projet d'amendement au code pénal afghan rédigé par un groupe de travail du ministère de la Justice, NDLR]. Hamid Karzai, qui était alors président, a cédé devant la pression internationale et bloqué le texte. D’après la loi actuelle, l’adultère est puni d’une "longue période de prison", dont la durée est laissée à l’appréciation du juge.

Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.

"Toujours accuser les Taliban des violences contres les femmes, c’est un moyen de se dédouaner"

Shah Hoseein Mortazavi est rédacteur en chef au “8 Morning”, un journal afghan.

Ces 14 dernières années [après la chute des Taliban], de nombreux simulacres de procès de femmes ont eu lieu dans différentes provinces. La plupart du temps, ce sont les Taliban qui les organisent, ou d’autres groupes ou individus, tel les mollahs, qui ne sont pas des représentants du gouvernement. Ces procès ont principalement lieu dans les régions tenues par les fondamentalistes. Mais ça ne doit pas nous empêcher de nous poser la question du rôle du reste de la société. Car il n’est pas rare que la population locale approuve la punition. Cette réaction est le résultat de l’absence d’éducation et d’accès à la connaissance dans un pays miné par des années de guerre.

La plupart du temps, des habitants viennent donc assister à ces scènes, et parfois même, il y a parmi eux des fonctionnaires du gouvernement. Par exemple en 2012, une femme du nom de Sabereh a reçu des coups de fouet dans la province de Jaghori. Elle était accusée d’adultère et la sentence, qui n’était pas officielle, avait été prononcée par le mollah de la région. C’est pourtant un commandant de police qui l’a exécutée.

Par ailleurs, la violence existe aussi au plus haut niveau de la société. Une femme députée vit actuellement dans une résidence surveillée à Kaboul après avoir fui des violences domestiques.

Changer cette mentalité est un travail de longue haleine. Mais après le lynchage de Farkhunda [battue à mort l’été dernier à Kaboul après avoir été accusée d’avoir brulé un exemplaire du Koran, NDLR], des activistes sont vite descendus dans la rue et ont poussé le gouvernement à condamner cet acte. Il y a par ailleurs aujourd’hui des programmes intéressants de sensibilisation aux droits des femmes dans les mosquées. On se doit aussi de regarder ce que l’on a amélioré depuis 2001. On a fait du chemin.

La lapidation de Rokhshana a été condamnée par plusieurs responsables politiques afghans dont Abdullah Abdullah, chef de l’exécutif, et son ministre de l’Intérieur, qui ont déclaré que les criminels seraient poursuivis.

Capture d'écran de la vidéo de la lapidation. Image floutée par France 24.