Les policiers abusent-ils des gaz lacrymogènes contre les migrants à Calais ?
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Plusieurs vidéos amateur montrent l’emploi massif de gaz lacrymogènes par les CRS contre les migrants installés à Calais. Au-delà de l’émotion, les méthodes employées par les forces de police françaises sont dénoncées par des activistes et des migrants contactés par France 24.
L'association "Calais Migrant Solidarity", plus connue sous le nom de "No Borders", a publié sur son site le 12 octobre une vidéo montrant des policiers qui lancent des grenades lacrymogènes du haut d’un pont sur des réfugiés. Les images, selon l'association, ont été filmées jeudi 7 octobre en fin de journée.
Une autre vidéo, filmée par un migrant et récupérée par France 24, montre la même scène sous un autre angle.
Les activistes de "No borders", un groupe d’extrême gauche qui défend les migrants, refusent de communiquer avec les journalistes et ont donc refusé de répondre à nos questions sur leurs images.
Toutefois, sur leur site, la vidéo est accompagnée de ce descriptif : "Un embouteillage sur l’autoroute, une foule de gens cherchant à traverser pour se rendre au Royaume-Uni, huit ou neuf salves de lacrymogènes lancées chaque fois plus loin dans la jungle, des tirs délibérément orientés vers la zone érythréenne". Les activistes dénoncent aussi des tirs tendus de grenades lacrymogènes, ce qui est illégal. Ils rapportent qu’une personne a été touchée par une grenade de gaz dans la poitrine.
Gilles Debove, le représentant du syndicat Unité SGP Police à Calais a visionné la première vidéo et commente :
"Ce que les images ne montrent pas, c’est que 300 migrants avaient grimpé sur le pont au dessus de la rocade. Ils ont jeté tout ce qu’ils trouvaient pour stopper la circulation. Ça arrive cinq fois par semaine. On voit sur la vidéo que les camions étaient tous à l’arrêt. Une vague de migrants a donc commencé à prendre d’assaut les camions. Notre mission, c’est de les éloigner des camions. Les sommations d’usage ont été faites en leur demandant de quitter la chaussée. Plusieurs grenades ont été tirées. Le vent a poussé les fumées vers le camp de migrants. On a reçu instruction d’arrêter pour cette raison-là. Les collègues étaient en maintien de l’ordre, donc l’emploi des lacrymogènes était tout à fait légitime. Il y avait 80 CRS en face de 300 migrants. Encore une fois, cette scène est exploitée par les "No borders", qui l’ont filmée et diffusée. Ils instrumentalisent les migrants. Ils veulent un monde sans frontières, sans police. Moi je les mets au même rang que les passeurs. Les "No Borders" n’hésitent pas à se glisser parmi les migrants pour en découdre avec les policiers, et ils filment ça. Le gaz lacrymogène est un palliatif pour éviter ces affrontements. C’est le seul moyen d’éviter qu’il y ait réellement contact."
Le policier répond précisément sur les "tirs tendus"
"Les tirs tendus sont interdits. Les policiers sont bien formés et de toute façon, avec les équipements que nous utilisons, ce n’est pas possible. L’arme doit pointer vers le haut pour lancer la grenade. Ces gens cherchent la moindre faille pour nous critiquer."
"Ils ont tiré des gaz lacrymogènes sur les tentes des migrants"
Ahmad, 29 ans, palestinien, est un des 4500 migrants installés dans la jungle de Calais. Il a été témoin des affrontements du 7 octobre dernier."Ce jour-là, il y avait un embouteillage de camions devant l'entrée du port. Plusieurs réfugiés sont montés sur ce pont pour essayer de grimper dans les camions. Ils n'ont toutefois pas bloqué la route. Les policiers sont arrivés rapidement et les ont alors aspergés de gaz pour les contraindre à descendre sous le pont. Ils ont ensuite bloqué l'accès à la route et encerclé le camp des deux côtés du pont.
"Une grenade a frôlé ma tête, les policiers chargeaient avec des bâtons"
Puis, ils ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes sur nous depuis le pont. Un projectile a frôlé ma tête et j'ai du me raser car elle m'a brûlé les cheveux. Les policiers ont tiré peut être une centaine de fois ce jour-là, sans répit. Et sans considération pour les femmes et les enfants qui étaient dans la foule. Une grenade a même atterri à l'intérieur d'une tente où se trouvait une érythréenne avec son enfant.
Ensuite, les policiers qui étaient en bas ont pris le relais et se sont eux aussi mis à tirer des gaz lacrymogènes. Les personnes qui s'enfuyaient, ils ne les poursuivaient pas. Mais ceux qui refusaient de s'éloigner, ils les chargeaient avec des bâtons. Les affrontements ont duré à peu près deux heures.
L'usage des gaz lacrymogène a été clairement excessif. Il y a un mois [le 21 septembre] dans un incident similaire, un policier m'a tiré sur le torse à une distance de deux mètres. J'ai été transporté à l'hôpital où j'ai passé deux heures. Heureusement, la radio n'a rien révélé de grave.
"Pourquoi la police n’arrête pas ceux qui leur jettent des pierres?"
Des personnes jetaient des pierres aux policiers. Ca arrive souvent. Mais il y a toujours un élément de la police qui les filme. Je me demande pourquoi la police ne les arrête pas puisque elle a les moyens de les identifier ? Ce sont des fauteurs de troubles qui ne font que salir notre réputation. Parfois, des réfugiés sont même obligés de s'interposer pour leur demander d’arrêter.
En général ça se passe bien avec les policiers. Une trentaine de policiers visitent le camp tous les jours. Ils sont polis. Ils se baladent entre les tentes en disant "bonjour" et "bienvenue". Ils sont munis d'une caméra sur le torse, et ils filment tout le monde.
Ce camp est une véritable jungle. Il y a souvent des bagarres entre clans. Il y a une semaine, une bagarre très violente a éclaté entre des kurdes et des Soudanais et les policiers ne sont pas intervenus."
D’autres images filmées le 7 octobre à la tombée de la nuit confirment que les affrontements ont duré et montrent que des tirs de grenades lacrymogènes ont eu lieu sous le pont. Elles sont postées par David Ram, membre du Camp Aid Network Leeds.
Posted by David Ram on Wednesday, 7 October 2015
Le rapport du 6 octobre 2015 du Défenseur des droits, une autorité indépendante établie par l’Etat et présidée par Jacques Toubon, aborde l’usage des gaz lacrymogènes par les policiers à Calais :
"Nul ne peut occulter l’existence de violences commises à l’encontre des migrants présents à Calais, et plus particulièrement à l’aide de gaz lacrymogène. Pour cette raison, le Défenseur des droits, (…) recommande que le cadre d’emploi des moyens lacrymogènes soit rappelé aux forces de l’ordre amenées à intervenir dans le Calaisis, afin qu’elles fassent un usage nécessaire et proportionné de ces armes - dont l’utilisation ne saurait être banalisée à raison du caractère répétitif de leurs missions"
Réfugiées aspergées de gaz lacrymogène d’une voiture de police début Octobre 2015.
Le rapport précise également que sur le plan médical, les réfugiés consultent d’abord pour des blessures liées aux tentatives de passage, ensuite pour des violences commises par les forces de l’ordre. Ils sont informés de la possibilité de porter plainte par les médecins, mais le plus souvent ne le font pas par crainte d’être identifiés, par méconnaissance du droit français, et par manque de preuves.
Pour éviter tout dérapage, le rapport du Défenseur des droits propose d’équiper de caméras les fonctionnaires de police et de gendarmerie travaillant à Calais. Les patrouilles intervenant à Calais ont d’ailleurs déjà demandé à recevoir cet équipement.
Des migrants aspergés de gaz par la police à Calais fin Septembre 2015.