Réfugiés soudanais en Jordanie : "On a l’impression d’être délaissés par rapport aux Syriens"
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Des réfugiés soudanais ont manifesté les 4 et 5 octobre devant les locaux du HCR à Amman, en Jordanie. Toutes les photos nous ont été transmises par les Soudanais.
La crise des réfugiés syriens occupe actuellement le devant de la scène, donnant aux autres réfugiés le sentiment d’être relégués au second plan. C'est le cas des Soudanais en Jordanie, qui ont manifesté devant les bureaux du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) à Amman, les 4 et 5 octobre, pour réclamer une meilleure prise en charge. Mais les Syriens sont-ils vraiment mieux traités par les organisations humanitaires ?
À Amman, des réfugiés se rassemblent régulièrement devant les bureaux du HCR, pour demander davantage de soutien. C’est le cas des Soudanais, qui ont remis une lettre à l’agence onusienne, listant leurs doléances, le 5 octobre.
"Pas de soutien financier, pas de médicaments, des procédures interminables"
Bechir (pseudonyme) est un réfugié soudanais de 27 ans, ayant fui le conflit au Darfour en 2004, comme nombre de ses compatriotes présents en Jordanie. Il est arrivé en Jordanie en 2013, après avoir vécu plusieurs années dans un camp de réfugiés au Soudan. Il a manifesté devant le HCR les 4 et 5 octobre.
Très peu de réfugiés soudanais sont aidés par le HCR. Personnellement, j’en connais juste cinq qui reçoivent une assistance financière mensuelle. Les travailleurs sociaux du HCR nous disent parfois que les pays envoient de l’argent avant tout pour les Syriens, car ils ignorent la présence de Soudanais en Jordanie. Du coup, on a vraiment l’impression d'être moins aidés que les réfugiés syriens et irakiens.
"Nos besoins : logement, santé, nourriture, éducation et réinstallation", peut-on lire sur le panneau.
L’autre problème, c’est la lenteur des procédures administratives. Je suis arrivé en Jordanie en 2013, mais j’ai dû attendre un an avant d’avoir un entretien avec le HCR, même si j’ai obtenu le statut de réfugié deux mois plus tard. Le HCR m’a ensuite donné 100 dollars [soit 89 euros, NDLR], mais je n’ai plus jamais rien reçu depuis.
Ensuite, il faut patienter encore des mois avant d’être reçu lors d’un second entretien, pour formuler une demande de réinstallation dans un pays tiers. Mais je connais juste dix Saoudiens qui ont bénéficié de cette mesure en 2014. [Selon le HCR, seul 1 % des réfugiés soudanais en bénéficient, de même que les Syriens, NDLR.]
Le statut de réfugié n'autorise pas à travailler en Jordanie, comme il est précisé sur la carte ci-dessus (en anglais).
On est donc peu aidés, et par-dessus le marché, les réfugiés n'ont pas le droit de travailler légalement en Jordanie… Donc, pour gagner quand même un peu d'argent, je lave des voitures dans la rue. Certains Soudanais font le ménage, travaillent sur les marchés… Mais on parvient rarement à travailler plus de deux ou trois jours par mois. Dans la rue, on entend parfois des remarques racistes, comme "Tu manges des bananes ?" Pour les Syriens, c'est sûrement plus facile de travailler !
"Non aux amalgames locaux". De nombreux Soudanais s'estiment victimes de racisme en Jordanie.
Enfin, concernant l’accès aux soins, le HCR nous dit souvent d’aller dans un hôpital où travaille l’ONG Caritas, quand on est malade. Mais là-bas, on nous donne toujours les mêmes médicaments, quel que soit notre problème, donc on ne guérit pas…
Notre Observateur vit avec douze autres Soudanais dans un appartement, où ils s'entraident afin de pallier aux difficultés quotidiennes.
Environ 687 000 réfugiés sont enregistrés au HCR en Jordanie, dont 629 000 Syriens, 51 000 Irakiens, 3 480 Soudanais et 772 Somaliens. Le pays accueille au total 1,4 million de Syriens, dont 85 % se trouvent en dehors des camps, selon le gouvernement. La Jordanie compte 6,5 millions d’habitants environ, hors réfugiés syriens.
"Il ne faudrait pas que les autres réfugiés, comme les Soudanais
et les Somaliens, soient marginalisés" (ONG)
Contacté par France 24, le HCR confirme que les Soudanais sont effectivement moins nombreux que les Syriens à bénéficier d'une assistance financière mensuelle de leur part. "535 réfugiés soudanais reçoivent cette aide, sur les 3 480 enregistrés auprès de notre agence, soit 15 % d'entre eux. Du côté des Syriens, 107 727 d'entre eux en bénéficient, sur les 518 917 qui vivent en zone urbaine, soit 21 % environ", indique Hélène Daubelcour, qui travaille au service des relations extérieures du HCR à Amman.
Elle ajoute toutefois que le montant de cette aide est plus élevé pour les non-Syriens que pour les Syriens. "Une famille de non-Syriens peut recevoir de 75 à 300 dinars jordaniens par mois (soit de 93 à 373 euros), contre 50 à 120 dinars jordaniens (soit 62 à 149 euros) pour une famille de Syriens, car ces derniers ont souvent accès à davantage de services, dans les camps et dans le pays en général", précise-t-elle.
De fait, le Programme alimentaire mondial (PAM) – une autre agence onusienne – indique que ses programmes sont uniquement destinés aux Syriens. Du côté des ONG sur le terrain contactées par France 24, si on assure s'occuper de tous les réfugiés, certains acteurs – ayant souhaité conserver l'anonymat – reconnaissent que "de nombreuses ONG locales et internationales s’occupent en priorité des Syriens". "Bien que ces derniers soient plus nombreux, il ne faudrait pas que les autres réfugiés, comme les Soudanais et les Somaliens, soient marginalisés. La focalisation sur la crise syrienne explique sûrement en partie le fait que certains groupes minoritaires soient moins aidés", indiquent des humanitaires sur place.
L'ensemble des réfugiés – Syriens compris – pâtissent néanmoins actuellement d'un manque de moyens financiers. La porte-parole du PAM en Jordanie, Shaza Moghraby, indique ainsi : "Nous ne versons plus aucune aide à 229 000 réfugiés syriens. Et nous ne donnons plus que 10 dinars (soit 12,50 euros) aux plus vulnérables, c’est-à-dire à 210 000 personnes, soit la moitié environ du montant qu’on versait l’an dernier". Concernant l'accès aux soins, si les Syriens ont longtemps pu accéder gratuitement aux hôpitaux publics jordaniens, contrairement aux autres réfugiés, ce n'est plus le cas depuis novembre 2014.