Lever de rideau sur "l'île la plus dangereuse du monde"
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Dans la pièce de théâtre "Beautiful One Day", des comédiens aborigènes reviennent sur les événements dramatiques qu’a connu l’île australienne de Palm Island en 2004. Cette année-là, un aborigène était mort en détention, donnant lieu à des émeutes violemment réprimées. Cette pièce vise surtout à rappeler l’histoire de l’île, dont la population a subi de longues années d’oppression.
Palm Island est une île située au niveau de la Grande barrière de corail, dans l’État du Queensland, en Australie. Environ 3 000 aborigènes y vivent. Entre 1918 et 1972, cette île a fait office de pénitencier pour les aborigènes ayant été condamnés à diverses peines dans cet État.
Palm Island. Photo: Google Maps.
Lorsque les médias évoquent Palm Island, plusieurs éléments reviennent presque systématiquement. Tout d’abord, sa mauvaise réputation. En 1999, le Livre Guinness des records lui a décerné le titre de "l’endroit le plus violent du monde en dehors des zones de combats", un titre contesté par les autorités locales.
Les chiffres de la criminalité sur l’île sont d’ailleurs constamment évoqués dans les médias. Depuis le début de l’année 2015, la police du Queensland a répertorié 610 délits sur place, soit 2,5 par jour en moyenne. Sur ce total, 117 correspondent à des agressions et 89 sont liés à l’alcool – la législation de Palm Island étant extrêmement restrictive à ce sujet. Ces 10 dernières années, cinq meurtres ont été commis sur l’île.
Par ailleurs, Palm Island s’est retrouvée sous le feu des projecteurs en 2004 en raison des événements dramatiques qui s'y sont produits. En novembre de cette année-là, un homme est mort alors qu’il se trouvait en garde à vue. Mulrunji "Cameron" Doomadgee avait auparavant été arrêté en état d’ivresse sur la voie publique. Les autorités ont toujours assuré qu’il était décédé de façon accidentelle, contrairement à ce qu’affirment des personnes ayant été témoins de son arrestation, musclée selon elles. De son côté, le médecin ayant réalisé l’autopsie du corps a indiqué qu’il comportait des blessures s’apparentant à celles des victimes de crashs d’avions.
Après la mort de Doomadgee, des émeutes ont éclaté sur l’île. Des habitants ont brûlé un poste de police, le palais de justice et des bâtiments où vivaient des membres des forces de l’ordre. Les autorités du Queensland ont alors déclaré l’état d’urgence et déployé de nombreux policiers sur place. Au cours de la répression qui a suivi, certains d’entre eux auraient pointé des armes à feu en direction d’enfants et forcé les gens à sortir de chez eux en pleine nuit. Aujourd’hui encore, les habitants assurent que la réponse policière avait été disproportionnée.
En 2011, des comédiens travaillant pour la compagnie de théâtre Ilbijerri de Melbourne ont décidé de revenir sur ces événements à travers la pièce "Beautiful One Day", engageant des insulaires pour l’occasion. Ce "documentaire théâtral" raconte l’histoire de Palm Island depuis 1930 jusqu’aux émeutes de 2004, en rappelant la violence et l’oppression subies par les habitants de l’île, rarement évoquées dans les médias.
Le 5 septembre, les comédiens ont joué cette pièce à Palm Island pour la première fois, après s’être produits dans tout le pays et à Londres.
Le 5 septembre, la pièce a été jouée dans une école de Palm Island. Photo: Harry Reuben.
Les comédiens Harry Reuben et Rachael Maza, dans la pièce "Beautiful One Day". Photo : Ponch Hawkes.
"Je pense que cette pièce peut rendre possible le pardon"
Magdalena Blackley est une habitante de Palm Island, qui joue dans la pièce "Beautiful One Day".Cette pièce nous a permis de faire connaître nos histoires en dehors de l’île. Durant des années, les habitants de Palm Island ont vécu sous un régime ségrégationniste. Par exemple, jusqu’aux années 1970, les aborigènes avaient besoin d’une permission pour voyager. Mais de nombreux Australiens n’en avaient jamais entendu parler. Connaître l’histoire de l’île permet pourtant de comprendre un peu mieux pourquoi des émeutes ont éclaté en 2004. Les gens en avaient tout simplement assez de subir cette répression depuis des dizaines d’années.
On avait promis aux insulaires qu’on jouerait "Beautiful One Day" ici. Bien-sûr, ils n’oublieront pas tout ce qui s’est produit en 2004, mais je pense que cette pièce peut aider à cicatriser les plaies et permettre le pardon.
"Des policiers sont venus assister à la pièce"
Rachel Maza est une comédienne jouant dans la pièce "Beautiful One Day".
Environ 90 personnes, avec des enfants, sont venues nous voir jouer la pièce à Palm Island. La famille de Cameron Doomagee était là. J’ai été surprise de voir toute une rangée de policiers – dont certains en uniforme – dans la salle. Pour moi, ça montre que les relations entre les habitants et les policiers se sont améliorées, même si des progrès restent à faire. Par exemple, ils vivent encore à l’écart de la population, dans des casernes entourées de fils barbelés.
Par ailleurs, il faut savoir que la colère n’est pas retombée depuis 2004. Le sergent Christopher Hurley, qui avait été accusé d’homicide involontaire dans l’affaire du décès de Doomagee, a été reconnu non coupable. [En mai 2015, à la suite d’un autre incident, une enquête interne a été ouverte au sujet de Christopher Hurley – qui travaille au sein de la police de Gold Coast – pour "usage inapproprié de la force", NDLR.] En plus, les policiers présents sur l’île au moment des émeutes ont été récompensés pour leur courage et reçu une prime.
Quant à Lex Wotton, accusé d’avoir encouragé les émeutes en 2004, il a été condamné à sept ans de prison. Pourtant, il n’a jamais été accusé d’avoir brûlé des bâtiments par exemple. À l’époque, il s’était uniquement exprimé en public avec un micro. Il avait parlé de justice. Mais quand un aborigène défend ses droits, on le fait taire immédiatement. [Lex Wotton et d’autres individus ont lancé une action collective contre l’État du Queensland concernant la façon dont les insulaires ont été traités à la suite des émeutes, NDLR.]
Durant une centaine d’années, les habitants de Palm Island ont été traités comme de simples prisonniers vivant sur une île éloignée, sans que l’on ne puisse entendre leurs voix. Il est important de connaître leur histoire pour comprendre la résistance qui existe ici. Dans la pièce, on reprend une phrase de David Bullsey, un habitant arrêté après les émeutes : "Quels que soient les événements qui se sont produits, on ne veut pas que les gens se sentent coupables. Il ne s’agit pas d’accuser qui que ce soit. On veut que les gens soient au courant de ce qui s’est passé, qu’ils comprennent et aillent de l’avant".
Récemment, Ian Stewart, l’actuel chef de la police du Queensland, a été félicité par les élus de Palm Island pour ses efforts visant à impliquer davantage les habitants dans le travail des policiers. Il a également reconnu que des erreurs avaient été commises en 2004. "J’espère que ce que l’on a appris nous a rendus meilleurs", a-t-il déclaré à ABC l’an dernier.
Des inquiétudes persistent toutefois concernant la mort d’Australiens aborigènes en détention sur l’île. En 2012, Kwementyaye Briscoe, un homme de 27 ans arrêté en état d’ébriété, est mort après avoir été placé en détention préventive. Il aurait été trainé au sol par la police, qui l’aurait ensuite laissé seul pendant deux heures sans lui fournir de soins médiaux. Au début de l’année 2015, deux autres aborigènes sont morts en détention.
La pièce "Beautiful One Day" a été jouée à Palm Island dans le cadre du Bwgcolman Youth Festival. Photo: Kamarra Bell-Wykes.
Le comédien Harry Reuben à Palm Island où il est né. Photo : Frank Mainoo.