Scènes de guérilla urbaine entre jeunes Kurdes et police à Istanbul
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Dans le quartier de Gazi, dans l’ouest de la capitale turque, les forces de l’ordre ont affronté samedi matin pendant plusieurs heures des militants de la branche jeunesse du Parti des travailleurs kurdes (PKK). Un groupe bien organisé et de plus en plus rompu à ce genre d’affrontements, qui se multiplient en Turquie depuis mi-juillet, explique notre Observateur qui a filmé les violences au plus près.
Les affrontements ont éclaté en marge d’une manifestation organisée par les jeunes du PKK pour protester contre la mort de trois militants du parti à Silopi, une ville kurde à proximité de la frontière entre la Turquie et l’Irak. Le quartier de Gazi est un quartier défavorisé d’Istanbul réputé très à gauche. La branche jeunesse du PKK, le YDGH, y est assez active.
Crédits vidéo : Hairy Tunç.
"Le YDGH est un mouvement organisé, pendant les affrontements, le rôle de chacun est prédéfini"
Hayri Tunç est kurde. Ce photographe et activiste est engagé dans la défense des droits des Kurdes. Il a ainsi pu filmer les affrontements du 30 août.Dimanche matin, les militants du YDGH avaient commencé à manifester pacifiquement pour protester contre la mort des militants de Selopi, mais aussi celle d’un jeune homme de Gazi, tué chez lui, selon eux par la police. [Information que nous n’avons pu vérifier de source indépendante.] Assez rapidement, la manifestation a tourné à l’affrontement : la tension était très vive, la police a commencé à disperser les manifestants de façon musclée. Ils se sont éloignés pour se rassembler un peu plus loin et entamer une bataille rangée avec les forces de l’ordre.
Le mouvement des jeunes du PKK, le YDGH, a été fondé en 2013. Pour moi, ce n’est pas un mouvement qui se veut violent, son but est plutôt de combattre la prostitution, le trafic de drogue, et le crime organisé. Mais le fait est que ces derniers temps, notamment depuis que les tensions ont repris entre l’État et le PKK, les affrontements sont fréquents avec les forces de l’ordre. Cette montée de tension est selon moi le fait de la police, qui se comporte systématiquement de manière agressive avec les Kurdes, comme ça a été le cas samedi.
"Ils s’entraînent eux-mêmes à développer des techniques de guérilla"
On le devine sur les images, le YDGH est un mouvement organisé, y compris dans les affrontements. Il y a une vraie structure verticale et des ordres clairs. Ils sont systématiquement camouflés de façon à ne pas être identifiés par la police. Pendant les affrontements, le rôle de chacun est prédéfini : il y a ceux qui lancent les cocktails Molotov, ceux qui lancent les feux d’artifice, d’autres qui surveillent, etc. On voit aussi qu’ils n’utilisent pas des pierres ou n’importe quel projectile : en plus des cocktails Molotov, ils fabriquent par exemple de petites bombes artisanales.
Je ne pense pas qu’ils soient entraînés par une hiérarchie, mais selon moi, ils s’entraînent eux-mêmes à développer des techniques de guérilla, et profitent de ce genre d’affrontements pour gagner en expérience.
Je comprends bien sûr leur colère. Les Kurdes sont oppressés, depuis juillet, on apprend chaque jour l’arrestation ou la mort de plusieurs d’entre nous. Soit c’est l’État turc, soit c’est l’organisation de l’État islamique qui nous vise. Pour moi de toute façon, le premier soutient le second… Il ne faut pas s’étonner que ces jeunes expriment leur colère.
Les tensions sont à nouveau très vives entre l’État turc et les Kurdes. Le 20 juillet, un attentat-suicide à Suruç, ville proche de la frontière syrienne, a fait 32 morts, dont de nombreux jeunes Turcs et Kurdes qui préparaient une aide humanitaire pour la ville kurde syrienne de Kobané. Attribuée à l’organisation État islamique, qui ne l’a pas revendiquée, l’attaque a provoqué la rupture de la trêve qui courait depuis mars 2013 entre l’État et le PKK. Le lendemain, des membres du PKK assassinaient deux policiers turcs. L’État turc décidait en représailles de passer à l’offensive à la fois contre le PKK et l’EI. Les accrochages entre manifestants kurdes et forces de l’ordre sont depuis réguliers, la Turquie a notamment bombardé plusieurs bases du PKK au Kurdistan irakien.
L’État turc considère le PKK comme un mouvement "terroriste" et a procédé à l’arrestation de centaines de ses membres depuis juillet. Le 12 août, après un double attentat à Istanbul, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que ses forces de sécurité combattraient les rebelles kurdes jusqu’à ce que ces derniers "quittent la Turquie et enterrent leurs armes". Mardi 1er septembre, une nouvelle manifestation contre l’offensive anti-kurde menée par le gouvernement à Istanbul a été réprimée par la police, qui a fait usage de grenades lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de canons à eau.
Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.