ALLEMAGNE

Un millier d’activistes paralysent une immense mine de charbon en Allemagne

Les activistes au pied de l'une des excavatrices de la mine de Garzweiler. Photo : Paul Wagner pour 350.org
Les activistes au pied de l'une des excavatrices de la mine de Garzweiler. Photo : Paul Wagner pour 350.org

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Plus de 1000 personnes ont mis à l’arrêt durant une journée entière la gigantesque mine de charbon de Garzweiler, dans l’ouest de l’Allemagne, ce week-end. Cette action de désobéissance civile visait à dénoncer l’exploitation des mines de charbon dans la région, qui constituent les principales sources d’émission de dioxyde de carbone en Europe.

Cette action d’envergure a été organisée samedi 15 août par "Ende Gelände" ("C’est fini"), une coalition d’associations, d’ONG ou encore de partis politiques – allemands pour l’essentiel – opposés à l’exploitation du nucléaire et des énergies fossiles. Elle a été menée à l’issue de neuf jours de débats, de formation et d’ateliers au sein du "camp climatique" mis en place à Lützerath, une localité située à quelques kilomètres de la mine de Garzweiler.

Exploité depuis 1983, le site de Garzweiler est une mine de lignite à ciel ouvert, un type de charbon très présent en Europe. L’Allemagne est d’ailleurs le premier producteur mondial de lignite, qu’elle brûle essentiellement pour produire de l’électricité. La mine est exploitée par la filiale RWE Power, du conglomérat allemand RWE, qui extrait également du lignite à Hambach et Inden. Ces différents sites, tous situés en Rhénanie, s’étendent sur 9000 hectares et constituent ensemble la plus importante source d’émission de dioxyde de carbone en Europe, selon la plateforme 350.org.

Vidéo postée sur le compte Youtube de la plateforme 350.org.

"Plusieurs villages doivent être rasés pour que la mine de Garzweiler soit agrandie"

Wilfried Maurin, 37 ans, est un salarié d’Attac France (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne), qui a pris part à l’action de "Ende Gelände".

Cette action de désobéissance civile a été préparée minutieusement durant un an, mais tout s’est précisé les jours précédents au "camp climatique", qui a réuni 1500 à 2000 personnes. On a décidé qu’elle devait être non violente, mais également menée avec détermination. Par exemple, on a tous reçu une formation pour savoir comment passer des barrages policiers.

Quatre groupes ont été formés, dont trois composés d’Allemands et un d’autres nationalités. Je faisais partie de ce groupe-là, qui comptait 250 personnes. On a ensuite formé des sous-groupes "affinitaires", c’est-à-dire rassemblant des personnes se mettant d’accord en amont sur ce qu’elles étaient prêtes à faire ou non. Par exemple, dans le mien, on était huit et on a fait savoir qu’on ne voulait pas être en première ligne face aux forces de l’ordre.

"Je n’avais jamais été impliqué dans une action de désobéissance civile d’une telle ampleur"

Samedi, environ 1800 personnes ont participé à l’opération. J’avais déjà pris part à de nombreuses mobilisations, mais je n’avais jamais été impliqué dans une action de désobéissance civile d’une telle ampleur ! Parmi les participants, il y avait des militants assez radicaux mais également d’autres personnes peu expérimentées.

Les activistes, en route vers la mine dès l'aube. Images postées sur Twitter par @milleramy.

On est partis de Lützerath, où le "camp climatique" était installé, à 7h. Notre groupe est parti en premier, afin de faire diversion. On est rapidement tombés sur un premier barrage policier sur l’autoroute, sous un pont. Je pense qu’il y avait 30 à 40 policiers. On les a poussés pour passer, mais sans donner de coups pour autant [voir la vidéo ci-dessus, à 1’28]. Je pense que les neuf dixièmes du groupe ont franchi ce barrage. Les autres se sont fait arrêter.

"Après l'autoroute, à travers les champs (encadrés par la police), la mine est devant nous." Images postées sur Twitter par @pascoesabido.

"Dans le village de Borschemich, on a vu une famille uniquement"

On s’est ensuite dirigés vers le village de Borschemich, mais il était bloqué, donc on a dû couper à travers champs. C’est un village-fantôme, qui doit être rasé prochainement – de même que d’autres localités comme Immerath – dans le cadre du projet d’extension de la mine, appelé Garzweiler II. [Bien que l’ampleur de ce projet ait été limitée l’an passé par le gouvernement régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il nécessite l’évacuation de plus de 6000 personnes, vivant dans 12 villages, et la destruction de tronçons de deux autoroutes, NDLR.] Du coup, à Borschemich, tous les édifices sont murés, tout est fermé… On a vu seulement une famille là-bas, qui nous a applaudis quand on est passés.

Depuis que le site de Garzweiler a commencé à fonctionner, plusieurs villages ont déjà été rayés de la carte. La compagnie RWE et les autorités allemandes déboursent d’ailleurs d’importantes sommes d’argent pour dédommager les personnes déplacées.

Avant d’atteindre la mine, on a dû franchir d’autres barrages policiers. À chaque fois, il y avait des arrestations, des coups de matraques, du gaz poivre… Par exemple, une personne de mon groupe n’a pas pu ouvrir les yeux durant une demi-heure en raison du gaz. Et ceux qui ont été arrêtés dès l’aube sont restés en garde à vue pendant 14 heures. Mais tout le monde a été relâché dans la soirée au plus tard.

"Les machines qui extraient le lignite sont parmi les plus grandes du monde"

On est entrés dans la mine vers 8h. Je pense qu’on était plus de 1000. On a été "accueillis" par les services de sécurité de RWE et les ouvriers de la mine. Ils sont allés chercher les policiers en 4x4, car leurs véhicules ne leur permettaient pas de rouler sur ce type de terrain. À un moment donné, tous les militants se sont tenu la main, en ligne, pour empêcher les 4x4 de passer.

La mine à ciel ouvert de Garzweiler. Vidéo publiée sur Twitter par Attac France.

Une fois sur place, on était heureux d’avoir atteint notre objectif, mais également un peu effrayés par le paysage désolé et monstrueux qui s’offrait à nous. L’intérieur de la mine est un trou de sept kilomètres de large et le sol est ravagé. Des tapis géants transportent le minerai, qui est extrait du trou par d’énormes machines, parmi les plus grandes du monde.[Les excavatrices "Bagger 228" font plus de 220 mètres de long, NDLR.] Des brumisateurs se trouvent tout autour de la mine : ce sont des poteaux métalliques qui projettent de l’eau en permanence pour faire retomber les poussières en suspension.

Photo publiée sur le site Internet d'Attac.

"On voulait dénoncer le gouffre existant entre les discours des politiques et leurs actes"

Je suis reparti des lieux vers 9h, mais certains sont restés sur place toute la journée. L’un des groupes, qui avait pris un chemin différent du nôtre pour atteindre la mine, a réussi à s’installer au pied de l’une des excavatrices. Au final, on a mis à l’arrêt les trois excavatrices du site, alors qu’elles fonctionnent 24h/24 habituellement.

Excavatrice du site de Garzweiler. Photo de Paul Wagner publiée sur Flickr par 350.org.

Le but de notre action était de dénoncer le gouffre existant entre les discours des politiques – notamment à l’approche de la Conférence sur le climat à Paris – et leurs actes. On ne peut pas lutter contre le réchauffement climatique, tout en exploitant le charbon ou encore le gaz et le pétrole de schiste. En Allemagne, les autorités et les industriels disent que le charbon est une énergie de "transition", permettant de pallier à la sortie du nucléaire [prévue en 2022, NDLR]. Mais c’est une énergie du passé ! On a donc voulu montrer que les citoyens pouvaient agir face à l’inaction politique dans le domaine du réchauffement climatique.

Bien que l’Allemagne soit l’un des leaders européens dans le domaine des énergies renouvelables, plus de 45 % de son électricité provient toujours du charbon, un chiffre en augmentation depuis l’arrêt de huit de ses réacteurs nucléaires en 2011.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.