"Microbes" d’Abidjan, l’impossible réinsertion ?
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L’assassinat d’une jeune étudiante, le 12 août, à Abidjan par des gangs d’enfants ultra-violents, surnommés "microbes", a ravivé les tensions autour de ceux qui agissent dans certains quartiers de la capitale ivoirienne. Notre Observateur, qui travaille dans le seul centre de réinsertion des "microbes", avoue son inquiétude devant le peu de perspectives offertes à ces mineurs délinquants.
ATTENTION, LA PHOTO CI-DESSOUS PEUT CHOQUER
Mercredi dernier, Abidjan était sous le choc du meurtre de Claude Larissa Abogny, étudiante de 23 ans. Alors qu’elle rentrait chez elle au petit matin, la jeune femme a été dépouillée de son téléphone portable et tuée à coups de machette par une bande de jeunes enfants de la commune de Yopougon.
Les habitants du quartier ont très vite désigné les "microbes" comme responsables du meurtre. Des gangs de jeunes mineurs connus pour s’adonner à des vols et agressions sanglantes à coups de couteau. Jeudi soir, trois présumés membres d’un de ces gangs ont été tabassés en guise de représailles. Deux d’entre eux sont morts. Dès le lendemain, 300 policiers ont quadrillé Yopougon, procédant à une cinquantaine d’arrestations.
À gauche, photomontage montrant le corps ensanglanté de Claude Larissa Abogny après son assassinat, mercredi 12 août, à Yopougon. À droite, trois présumés "microbes" lynchés à Yopougon, vendredi 14 août.
"Ces enfants ont peur que leur situation tombe aux oubliettes après les élections d’octobre"
Mais qu’advient-il ensuite de ces jeunes "microbes" quand ils sont arrêtés ? Certains sont confiés au seul centre de réinsertion pour mineurs délinquants du pays, situé à Dabou, à quelques kilomètres à l’ouest d’Abidjan. En place depuis décembre 2014, le centre a accueilli 73 enfants en huit mois, entre 12 et 18 ans. Mais aujourd’hui, son existence est menacée.Henri Joël (pseudonyme) travaille comme éducateur spécialisé dans ce centre.
Nous avons accueilli deux promotions, une en décembre 2014, et une autre en juin. L’intégralité des enfants ici sont des mineurs délinquants qui ont participé à un gang de "microbes ". Certains sont arrivés là après leurs arrestations, d’autres ont délaissé leurs machettes d’eux-mêmes pour venir apprendre gratuitement un métier chez nous. Ici, ils apprennent la mécanique, la couture ou la menuiserie. Nous leur donnons aussi des cours de secourisme ou d’éducation civique.
"Aucun enfant de la promotion précédente n’a trouvé un emploi"
Malheureusement, notre taux de réinsertion est très faible. Seuls quelques adolescents ont trouvé une activité dans un atelier de couture à Dabou, mais ne sont pas encore rémunérés pour ça. De nombreuses entreprises sont frileuses à l’idée d’embaucher des anciens 'microbes'. On en arrive à la situation suivante : aucun enfant de la promotion précédente n’a trouvé d’emploi. Ils sont donc toujours au centre, alors que la nouvelle promotion est arrivée en juin.
Des enfants "microbes" lors d'un cours de secourisme à Dabou. Photo de notre Observateur.
Je suis inquiet, car certains enfants, ne voyant pas de débouchés arriver, deviennent de plus en plus difficiles à gérer. Nombre de ces jeunes affirment s’être vu promettre une récompense financière pour avoir combattu au côté des FRCI [forces pro-Ouattara NDLR] lors de la crise post-électorale ivoirienne. Ils craignent, qu'une fois l'élection présidentielle du mois d’octobre passée, que leurs problèmes tombent aux oubliettes.
"Abandonner les efforts réalisés depuis un an, ça serait jeter dans la rue 73 enfants trahis"
Officiellement, notre activité s'est achevée en juin, avec la fin du programme de l’Agence du désarmement, démobilisation et réintégration (ADDR). Pour l’instant, la seule chose dont nous sommes certains, c’est qu’on dispose des fonds nécessaires pour fonctionner jusqu’en décembre, mais après, c’est le point d’interrogation [le centre, qui devait être rattaché au ministère des Solidarités, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, n’est pour l’heure sous aucune tutelle NDLR].
Je reste persuadé que ce centre est nécessaire, car beaucoup d’enfants ont changé de discours depuis qu’ils sont avec nous, et souhaitent tourner la page de la petite délinquance. Abandonner l’effort réalisé depuis un an, ce serait renvoyer dans la rue 73 enfants qui se sentiront une nouvelle fois trahis.
Selon le porte-parole du gouvernement, l’ADDR a réinséré 55 000 ex-combattants sur 64 000 qui se sont présentés dans ces structures, des statistiques qui ne concernent pas les enfants "microbes". Dans une interview à "Jeune Afrique", le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, a simplement estimé que les "'microbes' sont avant tout des enfants traumatisés par la guerre".
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Des enfants du centre de Dabou lors d'un atelier de dessin. Difficile d'imaginer que certains s'adonnaient à des rackets armés il y a encore quelques mois.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.