CHINE

En pleine frénésie de construction, l’agonie d’une maison bicentenaire chinoise

La maison de la famille Ren au milieu d'un énorme chantier. Photo postée sur le blog d'un habitant de Zhengzhou.
La maison de la famille Ren au milieu d'un énorme chantier. Photo postée sur le blog d'un habitant de Zhengzhou.

Dans la périphérie de Zhengzhou, dans le Henan au centre de la Chine, une famille se bat pour sauver de la démolition sa maison, construite au XVIIIe siècle par ses ancêtres. Un cas révélateur, comme des milliers d’autres, des menaces que fait peser sur le patrimoine architectural du pays, la fièvre urbanistique chinoise orchestrée par le gouvernement.

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Dans la périphérie de Zhengzhou, dans le Henan au centre de la Chine, une famille se bat pour sauver de la démolition sa maison, construite au XVIIIe siècle par ses ancêtres. Un cas révélateur, comme des milliers d’autres, des menaces que fait peser sur le patrimoine architectural du pays, la fièvre urbanistique chinoise orchestrée par le gouvernement.

Comme ailleurs en Chine, le gouvernement a établi dans le village Dong Shi Ma, à 30 kilomètres de Zhengzhou, en 2007, une "zone spéciale de reconstruction", sur laquelle sont en train d’être édifiés des gratte-ciels, accueillant des bureaux d’entreprises et des logements. Et depuis 2007, la famille Ren se bat pour que sa maison survive à l’urbanisation de son quartier.

"On ne la vendra jamais, même à un milliard yuan (150 millions d’euros)" jure Ren Jinling, le propriétaire de la maison au site d'information chinois Sina. Il assure que la maison a été construite par l’un de ses ancêtres, membre de l’aristocratie chinoise et fonctionnaire impérial sous la dynastie Qing (1644-1912), la dernière à avoir régné sur l’Empire du Milieu. La maison, transmise dans la famille depuis une dizaine de générations, est un complexe résidentiel avec 48 chambres, ornée de bas-reliefs délicatement sculptés, de corniches de style Han et d’objets artistiques bien préservés.

Sur la plaque dorée pendue à l'entrée de la maison de la famille Ren, quatre caractères qui signifient "se consacrer à l'administration du pays". Photo d'un habitant à Zhengzhou postée sur weibo.

Des bas-reliefs bien sculptés dans la maison des Ren. Photo d'un habitant postée sur weibo.

En 2009, la maison des Ren a été classée au "patrimoine municipal de Zhengzhou", ce qui, selon la loi chinoise de la protection de patrimoine, la place sous la protection de la ville. Ce statut oblige le gouvernement local de Zhengzhou à aider financièrement les propriétaires des résidences classées, s’ils n’ont pas les moyens de payer les rénovations. Pourtant, selon notre Observatrice, qui connaît bien la famille Ren, cette dernière n’a jamais reçu de financement et aurait même subi de longues périodes sans eau ni électricité. Des coupures visant à faire pression sur la famille pour la forcer à quitter les lieux. Ils ont également été deux fois convoqués au tribunal pour "résistance".

Dans la cour intérieure de la maison des Ren, la famille se retrouve souvent pour discuter, comme le veut la tradition chinoise. Photo d'un habitant à Zhengzhou postée sur weibo.

"Les Ren investissent jusqu’à la moitié de leurs revenus pour rénover la maison, mais ce n’est pas assez"

L.B est une activiste de protection de l’architecture patrimoniale à Zhengzhou. Elle milite sur Weibo (principal réseau social chinois) pour attirer l’attention des médias et éveiller la conscience publique. Elle tient également un blog.

J’ai rendu visite à la famille Ren deux fois et j’ai pu voir une maison qui a d’évidence une forte valeur historique, mais qui est devenue presque inhabitable. Il y a des fuites d’eau, et puisqu’une grande partie de la maison est construite en bois, sans le maintien nécessaire, les toits menacent de s’effondrer… Les Ren investissent beaucoup, jusqu’à la moitié de leurs revenus, pour rénover la maison, mais ce n’est pas assez. Il faudrait l’intervention de spécialistes du bâtiment. Ce n’est pas la peine de compter pour cela sur la ville de Zhengzhou, dont les aides pour l’entretien de la maison sont quasi-inexistantes.

La famille Ren est très attachée à ses racines et très fière du passé familial. C’est pour ça qu’ils sont très déterminés et qu’ils ont pu faire en sorte de sauvegarder la maison jusqu’à présent. Mais les Ren sont un cas à part : en Chine, la plupart des habitants de maisons très anciennes ne se rendent même pas compte de la valeur de leur habitation. J’ai déjà été plusieurs fois dans les familles qui se réjouissaient de la démolition de leur vieille demeure et d’avoir l’opportunité de déménager dans des appartements plus modernes et mieux équipés. Ils ont même parfois honte d’y habiter et ne sont pas forcément motivés pour les sauvegarder. Car il faut bien comprendre que, la plupart du temps, les gens ont gardé leur maison de famille depuis des générations parce qu’ils n’avaient pas l’argent nécessaire pour la rénover ou en acheter une autre. Quand je leur dis combien vaut leur maison aujourd’hui, ils sont souvent très étonnés car ils sous-estiment le prix qu’ils pourraient en tirer.

"La loi sur la protection du patrimoine ne s’applique pas"

La loi sur la protection du patrimoine interdit tout type de construction qui mettrait en danger les habitants d’un bâtiment déjà existant et créerait un contraste en termes de style architectural, de hauteur et d’étendue. Pourtant, cette loi est loin d’être respectée dans le cas de la maison des Ren : la famille a réussi à la conserver, mais elle est désormais encerclée de gratte-ciels de béton et de verre, hauts de 30 étages.

Mais il existe en Chine des situations pires encore. Le dernier recensement du patrimoine architectural a été mené en 2012, et devait agir comme une garantie de la préservation des édifices listés. Or, en pratique, ce n’est pas du tout respecté : en mars cette année, le village de Ma Gu, dans le Henan également, qui existe depuis presque mille ans a été quasiment entièrement rasé. Sur les sept bâtiments du village qui faisaient partie de la liste du patrimoine national, cinq ont été démolis. Les officiels locaux prétendent qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait de bâtiments protégés. Nous doutons fortement que ce soit la vraie raison…

Dans une Chine en chantier permanent, nombre d’habitants, notamment dans la périphérie urbaine des grandes villes, sont victimes d’"éviction forcée". Un rapport du cabinet d’avocat Cailang à Pékin, spécialisé dans les expropriations, montre que sur l’année 2013, 135 000 procédures en justice ont été entreprises contre les décisions de démolition des gouvernements locaux, précisant que le nombre de verdicts rendus contre les propriétaires des maisons menacées est très élevé. De 2009 à 2011, 41 immolations par le feu de résidents refusant la démolition de leur maison ont été recensées dans un rapport d'Amnesty International. La principale dynamique derrière ces nombreux projets de démolition et de reconstruction reste entaché de corruption, explique également l’ONG, selon qui "les promoteurs font pression sur les officiels locaux afin d’obtenir à des coûts inférieurs au marché des droits d’utilisation des terres, le plus souvent en proposant en échange de construire des routes ou des infrastructures".

Si les pouvoirs publics ont plusieurs fois fait part de leur inquiétude vis-à-vis des démolitions forcées, ils préconisent plutôt une transformation des anciennes habitations en lieux publics, processus perçu comme un moyen de booster le tourisme. En 2014, le président chinois Xi Jinping a rappelé "la nécessité de sauvegarder la tradition dans la transformation urbaine face à la vitesse de la disparition des résidences traditionnelles dans le Henan". Mais dans une société où la coalition entre les pouvoir publics et des promoteurs reste prononcée, l'architecture ancienne peine à se préserver.

Cet article a été rédigé par Weiyu Tsien(@WeiyuQ),  journaliste à France24.