Le funk du chômage, une parodie pour dénoncer la galère des Jordaniens
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Extrait du clip réalisé par Fook Al-Sada.
Pour parler du chômage des jeunes diplômés en Jordanie, un groupe de comédiens vient de reprendre le dernier tube des chanteurs Bruno Mars et Mark Ronson, "Uptown funk ". Même air, même style, même énergie…sauf que le "Bruno Mars jordanien" chante la galère du chômage au royaume hachémite. ...
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Pour parler du chômage des jeunes diplômés en Jordanie, un groupe de comédiens vient de reprendre le dernier tube des chanteurs Bruno Mars et Marc Ronson, "Uptown funk ". Même air, même style, même énergie…sauf que le "Bruno Mars jordanien" chante la galère du chômage au royaume hachémite.
Sur un air gai et entraînant, la chanson "Uptown funk ", de Bruno Mars et Mark Ronson, a fait un carton en 2014. Dans son clip, le chanteur et ses danseurs arborent vestes colorées, chaînes en or autour du cou et chapeaux. Des tenues reprises par un groupe de jeunes jordaniens pour parodier le tube américain : mais là où Bruno Mars chante le plaisir de croiser des jolies filles dans la rue et de sortir entre amis, Muath al-Bzour et son groupe Fooq al-Sada prennent le contrepied de ces paroles légères pour dénoncer la situation économique des jeunes diplômés, dans un pays où 32 % d'entre eux n’ont pas de travail.
Traduction des paroles:
"Je marche dans la rue. Il fait chaud. Je pète un plomb.
Mon téléphone se met à sonner. Je suis à bout. Ne me tape pas sur les nerfs.
J’ai un entretien pour un boulot et je porte un costard.
Ma voiture est là, elle n’a plus d’essence pour rouler. Il faut que je change de plan.
Les gars, poussez-la !
On a un sacré bout de chemin jusqu’à Amman.
Et sans essence, on n’a pas de clopes
Allez les gars, poussez-la, bougez vous !
Par Dieu, donnez nous du travail.
On est endettés jusqu’au cou
Quatre ans sans travail.
Y’a plus de travail.
Plus de travail, mec"
"Nous utilisons l'humour pour que le message parvienne au plus grande nombre"
Muath al-Bzour, présentateur d'un programme sur la chaîne de télé YouTube Fooq al-Sada, comédien et interprète de cette chanson, témoigne de ses propres difficultés face au chômage.
Cette vidéo est une création collective mais elle est directement inspirée de mon expérience. Aujourd’hui, je ne souffre plus du chômage, mais comme beaucoup de jeunes jordaniens, j’ai longtemps cherché un emploi en sortant de l’université. J’ai fait des études d’économie, alors à moins de poursuivre un cursus à l’université et de faire une carrière académique, j’aurais eu du mal à trouver un emploi. La plupart des emplois se trouvent dans la vente. Alors, je me suis adapté. C’était la meilleure chose à faire pour ne pas souffrir du chômage.
En fait, la majorité des diplômés ne travaillent pas dans le domaine dans lequel ils ont été formés. Avant de travailler comme comédien et présentateur, j’étais dans la vente chez un fournisseur de services internet à Amman, même si mon diplôme ne correspondait pas aux qualifications. Le problème, c’est que le système ne nous pousse pas à nous former dans les domaines qui innovent et créent de l’emploi. Moi, par exemple, j’ai choisi l’économie parce que c’était ma spécialisation au lycée. Mais c’est en décalage complet avec les attentes du marché du travail. Pas besoin d'un diplôme Bac + 3 pour vendre des vêtements ! Aussi, il y a une pression de la société, des familles qui souhaitent que leurs enfants réussissent socialement : être ingénieur ou médecin. Mais nous devons nous former à tout type de travail et surtout dans les secteurs innovants comme les nouvelles technologies.
La vidéo a été tournée à Irbid [troisième ville de Jordanie, dans le nord du pays], là où j’ai grandi. C’était important pour nous de raconter la situation de jeunes jordaniens qui ne vivent pas dans la capitale et souffrent encore davantage du manque d’emplois. Il y a très peu d’entreprises à Irbid. La plupart des gens vivent grâce à des petits commerces ou travaillent au noir. Beaucoup sont obligés d’aller à Amman dans l’espoir de trouver un emploi. C’est aussi ça que l’on voulait raconter dans la vidéo. Le chômage est un problème majeur et nous utilisons l'humour pour que le message parvienne au plus grande nombre.
Extrait du clip réalisé par Fooq al-Sada
Le chômage n’est pas seulement le résultat d’une faible croissance économique (3,3% du PIB en 2015, une croissance faible comparée à la pression démographique sur le marché de l'emploi, qu'est venue augmenter l'accueil de 1,4 millions de réfugiés syriens sur le territoire jordanien). Le problème du chômage des jeunes est aussi structurel. Selon Fares Al-Hussami, analyste politique à l’OCDE, "le chômage en Jordanie se caractérise, entres autres, par la diminution des emplois offerts par le secteur public et par l’incapacité du secteur privé à créer assez d‘emplois pour absorber le nombre important de jeunes entrant sur le marché du travail chaque année, y compris ceux avec un diplôme universitaire.
Par ailleurs, souligne t-il "le secteur privé fait face aussi à des difficultés importantes pour trouver des jeunes ayant des compétences ou une formation qui soient en adéquation avec le travail requis." Par conséquent, en Jordanie, comme dans plusieurs pays de la région, la transition entre la fin des études et la vie active peut prendre plusieurs années. Beaucoup, découragés, finissent par se tourner vers le travail au noir.
Un billet écrit par Dorothée Myriam KELLOU, journaliste à France 24