HAÏTI – RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Retour chaotique au pays pour des milliers d’Haïtiens de République dominicaine

Des dizaines de milliers d’Haïtiens et descendants d’Haïtiens – en situation irrégulière – ont quitté la République dominicaine pour retourner dans leur pays d’origine depuis le 17 juin, date butoir à laquelle ils devaient avoir mis leurs papiers en règle. Mais leur retour se fait dans l’anarchie, l’État haïtien n’étant pas préparé à faire face à un tel afflux de personnes.

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Un bus ayant transporté des Haïtiens jusqu'à la frontière. Toutes les photos ont été envoyées par Arcadio Sosa, de la Fundación de Intercambio Cultural entre lo Pueblos del Caribe - Centro Puente.

Des dizaines de milliers d’Haïtiens et descendants d’Haïtiens – en situation irrégulière – ont quitté la République dominicaine pour retourner dans leur pays d’origine depuis le 17 juin, date butoir à laquelle ils devaient avoir mis leurs papiers en règle. Mais leur retour se fait dans l’anarchie, l’État haïtien n’étant pas préparé à faire face à un tel afflux de personnes.

Depuis le 17 juin, plus de 36 000 personnes ont quitté la République dominicaine, selon la Direction générale des migrations du pays. Ce chiffre pourrait toutefois être bien plus élevé, en l’absence de contrôle à de nombreux points de passage à la frontière entre les deux États.

Le point sur la loi dominicaine

Jusqu’en 2010, tous les enfants nés en République dominicaine obtenaient la nationalité dominicaine, en vertu du droit du sol. Depuis 2010, l’obtention de la nationalité par les enfants nés de parents en situation irrégulière n’était toutefois plus automatique.

Le 26 septembre 2013, une décision du Tribunal constitutionnel dominicain réduisait encore davantage leurs droits. Appliquée de manière rétroactive, elle retirait la nationalité dominicaine aux enfants et petits-enfants d’immigrants haïtiens, nés en République dominicaine entre 1929 et 2010. Ce jugement concernait plus de 250 000 personnes, en situation régulière jusqu’en 2013, les rendant de facto apatrides.

Un plan national de régularisation des étrangers (PNRE) avait ensuite été mis en place par les autorités dominicaines, pour permettre aux descendants d’Haïtiens de se mettre en règle. Ces derniers avaient jusqu’au 17 juin dernier pour déposer leur dossier. Depuis cette date, de nombreuses personnes – dont le dossier a été refusé ou n’ayant pas déposé de dossier complet – fuient la République dominicaine.

Certaines personnes affluent à la frontière avec l'intégralité de leurs affaires personnelles.

"Beaucoup de gens partent d’eux-mêmes, de peur d’être victimes d’un rapatriement forcé"

Saint-Pierre Beaubrun est coordinateur du Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR), une plateforme créée en 1991, qui regroupe huit organisations soutenant les migrants à Haïti. Le GARR dispose de plusieurs bureaux le long de la frontière avec la République dominicaine.

Depuis le 17 juin, beaucoup de gens sont retournés de manière "volontaire" à Haïti. Il s’agit surtout de familles, qui vivaient en République dominicaine depuis des années, et qui ont fui le pays pour plusieurs raisons. Certains nous ont raconté que des civils armés étaient entrés dans leurs maisons pour les chasser. C’est possible, dans la mesure où il existe quelques groupes ultranationalistes en République dominicaine, organisant parfois des manifestations anti-haïtiennes. [Le 11 février dernier, un jeune Haïtien avait été pendu à un arbre, quelques heures après une manifestation anti-haïtienne à Santiago, NDLR.]

D’autres racontent avoir été mis sous pression par leurs patrons, qui ne veulent pas forcément employer de travailleurs en situation irrégulière. Certains quittent également le pays car ils voient d’autres personnes prendre la fuite. Enfin, beaucoup ont peur d’être victimes d’un rapatriement forcé, car ils savent qu’ils pourraient alors perdre tous leurs effets personnels et être séparés de leurs familles, donc ils préfèrent partir d’eux-mêmes. En fait, beaucoup partent car ils ont peur de ce qui pourrait se passer dans le futur…

"Cet Haïtien traverse la frontière avec quelques effets personnels, quittant la République Dominicaine pour retourner à Haïti, par peur d'être expulsé."

En revanche, le GARR n’a pas observé de rapatriements forcés depuis le 17 juin. En fait, il y a eu des expulsions de personnes en situation irrégulière depuis cette date, mais pas plus qu’en temps normal. [De son côté, RFI indique que des dizaines de personnes sont déposées par l'armée à la frontière avec Haïti chaque jour, bien que les autorités affirment n’avoir pas commencé les expulsions pour l’instant, NDLR.]

"Haïti n’a pas encore mis en place de structures pour accueillir ces nouveaux venus"

Les gens arrivent généralement à la frontière en bus – pour ceux qui en ont les moyens – ou à pied. Par exemple, le 6 juillet, neuf bus sont arrivés en même temps à un point de passage.

Le problème, c’est que le gouvernement haïtien n’a pas encore mis en place de structures pour accueillir ces nouveaux venus. Du coup, seules trois organisations les aident pour l’instant : le GARR, le Service jésuite aux migrants Haïti et le Réseau frontalier Jeannot Succès. De notre côté, on essaie de leur fournir une assistance humanitaire : nourriture, soins, assistance psychosociale, etc. On peut aussi les héberger dans nos bureaux, dans lesquels on a installé quelques matelas sur le sol, pour une à trois nuits.

La grande majorité des gens retournent dans leurs familles ou dans leur région d’origine. Mais une minorité d’entre eux reste au niveau de la frontière, où deux à trois camps de fortune se sont montés. Dans l’un d’eux, il y a 600 à 800 personnes, et dans un autre, une centaine de personnes.

"Beaucoup de gens sont rentrés à Haïti sans avoir été enregistrés"

Il est difficile d’évaluer le nombre exact de personnes rentrées à Haïti depuis le 17 juin, car les autorités sont présentes uniquement à quatre endroits le long de la frontière, sur les 141 points de passage existants. Au début, les personnes rentrant à Haïti n’étaient même pas enregistrées. Mais les autorités le font maintenant petit à petit. Donc aujourd’hui, on ignore leur nombre, l’endroit où elles sont allées, leur profession… Cette mauvaise gestion de la situation va poser problème dans le futur, si le gouvernement souhaite mettre en place une politique de réinsertion sociale.

"Sur le plan logistique, la République dominicaine n’est pas encore prête à expulser les gens"

Même la République dominicaine n’est pas mieux organisée ! Sur le plan logistique, les autorités ne sont pas encore prêtes à expulser les gens en situation irrégulière, car elles doivent d’abord mettre en place des zones de transit pour contrôler l’identité des personnes, ce qui prend du temps… Faute de pouvoir les expulser pour l’instant, elles ont accordé un délai de 15 jours aux personnes en situation irrégulière pour leur permettre de quitter le territoire volontairement, après le 17 juin. Mais ce délai a été prolongé…

Beaucoup de gens n’ont pas réussi à déposer un dossier complet auprès du PNRE avant le 17 juin, car certaines pièces sont très compliquées à obtenir. Par exemple, l’État haïtien ne fournit pas toujours les papiers réclamés par les gens, comme certains documents d’identité. De plus, il faut fournir un certificat de résidence signé de sept Dominicains. Or certains exigent de l’argent pour signer un tel papier…

Depuis le début du XXe siècle, les migrants haïtiens fournissent une maind’œuvre précieuse en République dominicaine, notamment dans les exploitations agricoles, les champs de canne à sucre et le bâtiment. Ces deux pays comptent une dizaine de millions d’habitants chacun. La République Dominicaine comptait 458 000 immigrants en 2012, selon le recensement national.

La Convention de New York du 30 août 1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975, interdit aux États l'ayant signée de créer des apatrides. La République Dominicaine a signé cette convention, sans toutefois la ratifier.

Cet article a été écrit en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.