ÉTATS-UNIS

En pleine sécheresse, Nestlé veut privatiser l'eau de l'Oregon

Tout comme la Californie, l'État américain de l’Oregon doit faire face à la plus grave sécheresse depuis 300 ans. Dans ce contexte, le projet du géant suisse Nestlé de privatiser l'eau de la petite ville de Cascade Locks pour la vendre en bouteilles est jugé inconcevable par nombre d'habitants.

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Tout comme la Californie, l'État américain de l’Oregon doit faire face à la plus grave sécheresse depuis 300 ans. Dans ce contexte, le projet du géant suisse Nestlé de privatiser l'eau de la petite ville de Cascade Locks pour la vendre en bouteilles est jugé inconcevable par nombre d'habitants.

Vue de Cascade Locks, Oregon. (Photo from Facebook/Instagram)

 

Perché sur les bords de la rivière Columbia, Cascade Locks est un village pittoresque classé depuis 1986 parmi les plus beaux paysages du pays. Mais le quotidien de ses quelques 1 200 habitants n’y est pas rose pour autant. Cascade Locks est économiquement exsangue et le taux de chômage y frôle les 20 %, selon les autorités locales.

C’est dans ce village que la compagnie Nestlé Waters North America tente d’installer une usine d’embouteillage d'eau de source depuis maintenant six ans. En 2009, la compagnie a commencé par y ouvrir un petit bureau. Puis, il y a six mois, un accord de vente sur un terrain situé dans le parc industriel de la ville a été signé. Mais avant de finaliser la vente, Nestlé veut s'assurer de pouvoir accéder à la très convoitée source d’eau Oxbow Springs.

Jusqu'à cette année, c'est le département pour la pêche et la nature de l'Oregon (ODFW) qui gérait l’accès à cette source. Elle était alors utilisée par des entreprises d'élevage de saumons. Mais le 10 avril, une demande a été faite aux autorités de l’État afin que les droits de l’OFDW soient transférés à la ville de Cascade Locks. Si ce transfert est acté, les autorités municipales prévoient de vendre leurs droits à Nestlé. L’installation de l’entreprise dans la ville rapporterait de nouveaux revenus fiscaux et des emplois, expliquent-t-elles.

Contrairement aux entreprises d’élevage qui rejettent actuellement l’eau dans la rivière après utilisation, l’accord permettra à Nestlé d’extraire l’eau d’Oxbow Springs en vue de la vendre. La compagnie prévoit par ailleurs de créer son propre système d’acheminement partant directement de la source. Un projet qui alarme les citoyens et les activistes environnementaux.

Photo: Food & Water Watch Oregon.

Pour ses détracteurs, ce projet constituerait un précédent en terme de privatisation des ressources naturelles alors que 15 comtés de l'État de l'Oregon sont actuellement en état d’urgence en raison de la sécheresse.

"Le premier objectif de Nestlé, c'est de faire du profit "

Deanna Busdieker, conseillère municipale, ne croit pas que cette installation aura des conséquences positives pour les habitants.

Le premier objectif de Nestlé, c'est de faire du profit alors que les habitants veulent un développement économique durable et socialement responsable. Par ailleurs, nous avons d'autres options. Deux autres entreprises sont en discussions pour acheter ce même terrain : une usine de poisson tenue par des entrepreneurs locaux et une usine de production de fruits locaux. [Elles offriraient respectivement 7 et 30 emplois contre 50 pour Nestlé, dont 45 seront ouverts mais non réservés à des candidats locaux].

"Nous avons besoin du soutien des dirigeants politiques"

Quand les activistes ont opposé aux autorités municipales le problème de la sécheresse, ces dernières ont balayé la critique, arguant qu'"il pleut 2 000 mm de précipitations par an" sur la zone. Mais pour Julia DeGraw, qui travaille pour l’organe de surveillance de la nourriture et de l'eau de l'Oregon Food & Water Watch Oregon, ce n’est pas l’eau de pluie que Nestlé mettra en bouteille.   

 

Le problème de la sécheresse est dû à la réduction des chutes de neige [actuellement dix fois moins importantes que la normale à cause de la douceur des derniers hivers]. Or, l’eau de source vient de ces chutes de neige, et c’est celle-ci que Nestlé mettra en bouteilles. 

Les termes de l’éventuel contrat avec Nestlé se sont pas encore connus. Julia DeGraw s’inquiète notamment du caractère permanent de ce transfert. Selon elle, en cas de sécheresse ou de contamination des eaux de la ville, aucun recours ne sera possible pour que la municipalité retrouve l’accès à cette source.

 

À chaque réunion qu’a organisée Nestlé avec les habitants, la plupart ont exprimé leurs inquiétudes. Ils ont évoqué les trajets à répétition des camions de transports [200 passages de camions sont prévus chaque jour dans la ville si le projet aboutit, explique l’organisation environnemental Oregon Sierra Club], de gros châteaux d’eau vont être érigés et on prévoit aussi des nuisances sonores [qui pourraient affecter le tourisme].

 

Les habitants commencent à hausser le ton. Il y a deux semaines, ils ont brandi des pancartes contre le projet lors d’un pique-nique organisé par Nestlé.

 

Pour autant, depuis six ans que les activistes sont mobilisés pacifiquement, rien ne bouge. Nous avons besoin du soutien des dirigeants politiques. Kate Brown, le gouverneur, ne devrait pas autoriser le département de la pêche et de la nature à créer un tel précédent, et surtout pas alors que nous faisons face à une telle sécheresse. Aucune autre usine d’embouteillage en Oregon ne dispose d'un tel accès à une source.

Byron Maye, chargé de la communication de Nestlé Waters North America, a réfuté ces accusations, arguant que la compagnie n’aurait pas de droits sur l’eau d’Oxbow Springs.

 

Nous serons un industriel, client d’une source d’eau qui appartient à la municipalité… et nous répondrons aux mêmes règles et exigences que les autres utilisateurs, parmi lesquelles les restrictions imposées par la ville en cas de sécheresse. Ce sujet nous préoccupe, notamment lorsqu’il affecte les familles, les fermiers, les consommateurs et les affaires. Nous tenons à ce que les ressources en eau soient bien gérées et de façon durable. (…)

Le département en charge des ressources en eau, à qui a été présentée la demande de transfert de droits, doit se prononcer au cours de l'été. Si l'accord est validé, plusieurs groupes d'activistes mèneront une action commune pour contester la décision, explique Julia DeGraw.

 

Billet écrit par Brenna Daldorph (@brennad87) journaliste à FRANCE 24.