Vidéo : des étudiants caillassés par la police mexicaine
Le 28 mars, des policiers ont caillassé un bus dans lequel voyageaient des étudiants de l’École normale rurale d’Ayotzinapa, dans l’État mexicain du Guerrero. Une énième agression contre les élèves de cet établissement, connu pour être un foyer de contestation politique, six mois après la disparition de 43 de leurs camarades.
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Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.
Le 28 mars, des policiers mexicains ont caillassé un bus dans lequel voyageaient des étudiants de l’École normale rurale d’Ayotzinapa, dans l’État du Guerrero. Une énième agression contre les étudiants de cet établissement, connu pour être un foyer de contestation politique, six mois après la disparition de 43 de leurs camarades.
Samedi 28 mars, en fin de matinée, des dizaines de policiers de l’État du Guerrero ont arrêté trois bus à bord desquels se trouvaient une cinquantaine d’étudiants de l’École normale rurale Raúl Isidro Burgos de Ayotzinapa.
Les policiers ont commencé à lancer des pierres en direction de l’un des bus, brisant ses vitres. Ils ont ensuite fait sortir les étudiants du véhicule et utilisé du gaz lacrymogène. Des étudiants ont alors cherché à s'enfuir. Les forces de l’ordre les ont frappés avec des bâtons et des boucliers, en blessant au moins trois. Deux étudiants ont également été arrêtés et conduits dans les bureaux de l’Institut de formation et de formation de la police, avant d’être libérés trois heures plus tard.
Vidéo de l’Agencia de Noticias Guerrero, postée sur Youtube, où l’on voit les policiers jeter des pierres sur le bus des étudiants (0’22-0’35), puis jeter l’un d’eux au sol avant de le frapper (0’35-1’03). À partir de 2’13, on peut notamment apercevoir deux véhicules brûlés ensuite par d’autres étudiants de l’École normale rurale d’Ayotzinapa, à Tixtla (à une quinzaine de kilomètres de Chilpancingo), en guise de représailles.
L’École normale rurale d’Ayotzinapa est aujourd’hui tristement célèbre car c’est l’établissement des 43 étudiants ayant disparu le 26 septembre dernier à Iguala – après avoir été enlevés par des policiers locaux – et dont on est toujours sans nouvelles.
"L’École normale rurale d’Ayotzinapa est victime d’une répression systématique de la part des autorités depuis des années"
Rodrigo Jimenez (pseudonyme) a étudié à l’École normale rurale d’Ayotzinapa entre 1995 et 2000. Il fait partie de la Coordination des diplômés défendant cette école.Ce qui s’est produit le 28 mars, c’est une agression commise par les policiers de l’État, et non un "affrontement" entre eux et les étudiants, comme l’ont dit certains médias. C’est évident dans la vidéo.
Cette violence n'est pas nouvelle. Les élèves de l’École normale rurale d’Ayotzinapa et ses diplômés sont victimes d’une répression systématique de la part des autorités depuis des années, bien avant la disparition des 43 étudiants.
En février, Claudio Castillo Peña, un enseignant retraité, qui avait étudié à l’école d’Ayotzinapa, est mort en marge d’affrontements entre des policiers et des professeurs, à Acapulco. En décembre 2011, deux étudiants de l’école, Gabriel Echeverría de Jesús et Jorge Alexis Herrera Pino, ont été tués par balles lors d’affrontements avec la police, non loin de l’endroit où le bus a été caillassé.
Et c’est comme ça depuis 20 ans… En tout, une cinquantaine d’étudiants ou d’anciens étudiants de l’École normale rurale d’Ayotzinapa ont disparu ou été assassinés. Certains étudiants reçoivent des menaces de mort ou des menaces visant leurs familles.
“Les autorités veulent en finir avec les écoles normales rurales, derniers bastions de la révolution mexicaine”
En fait, l’objectif des autorités est d’en finir avec les écoles normales rurales, au nombre de seize dans le pays, car elles représentent le dernier bastion de la révolution mexicaine ayant éclaté en 1910. À l’époque, beaucoup de gens sont morts pour obtenir des avancées. [Le gouvernement de Lázaro Cárdenas, dans les années 1930, a notamment amorcé des réformes agraires et éducatives, l’éducation rurale étant l’une de ses priorités, NDLR.] Mais les gouvernements qui sont venus ensuite ont tout fait pour démanteler ces écoles.
Et ça continue actuellement, avec la mise en place de réformes structurelles libérales dans tout le pays, conduisant à la privatisation des services publics, dont l’éducation. Les écoles normales rurales, publiques et gratuites, ne rentrent donc pas dans ce projet, ce qui peut expliquer la recrudescence de la répression ces derniers temps. Au Mexique, ce sont les seuls établissements du supérieur où les étudiants disposent d’un internat gratuit. Pour pouvoir étudier dans ces écoles, ils doivent être fils de paysans, pauvres et vouloir devenir enseignants. Ce sont les seules conditions.
“À la suite de la disparition des 43 étudiants, beaucoup de parents vont sûrement éviter d’envoyer leurs fils dans cette école”
Par ailleurs, l'École normale rurale d'Ayotzinapa, créée en 1926, dérange tout particulièrement les autorités, car elle est un symbole de lutte au Mexique. De grands hommes ont étudié dans cet établissement, tels que Lucio Cabañas, Genaro Vázquez [deux figures importantes des mouvements de guérilla dans les années 1960-70, NDLR], ou encore le chanteur Álvaro Carrillo. Ses étudiants ont souvent été diabolisés par le pouvoir. La grande majorité des 43 élèves disparus il y a six mois étaient en première année. C’est presque une génération entière qui a été perdue. Désormais, beaucoup de parents vont sûrement éviter d’envoyer leurs fils dans cette école…
Six mois après la disparition des 43 étudiants, l’enquête piétine. Le 27 janvier, le ministre de la Justice a affirmé que l'enquête permettait d'affirmer qu'ils avaient été enlevés par des policiers locaux, puis assassinés par des membres du cartel Guerreros Unidos, avant d'être brûlés et jetés dans une rivière. Une version contestée par les familles des victimes, mais également par des experts argentins. Seuls les restes d'un étudiant ont pour l’instant été identifiés, il y a plusieurs mois.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.