PÉROU

Une actrice se dénude contre la disparition des peintures murales à Lima

Le maire de Lima a ordonné d’effacer toutes les peintures murales du centre historique de la ville, le 12 mars dernier. Deux jours plus tard, l’actrice Rebeca Ráez a réalisé une performance artistique au pied d’une fresque en train d’être effacée, en se dénudant et en s’attachant avec des cordes. Un acte de protestation emblématique de l’indignation de nombreux Péruviens suscitée par cette décision.

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La performance de Rebeca Ráez à Lima, le 14 mars. Photo publiée sur son compte Facebook.

Le maire de Lima a ordonné d’effacer toutes les peintures murales du centre historique de la ville, le 12 mars dernier. Deux jours plus tard, l’actrice Rebeca Ráez a réalisé une performance artistique au pied d’une fresque en train d’être effacée, en se dénudant et en s’attachant avec des cordes. Un acte de protestation emblématique de l’indignation de nombreux Péruviens suscitée par cette décision.

Effacement de peintures murales. Photo publiée sur Twitter le 14 mars par @LimaNOpara.

Cinq mois après son élection à la mairie de Lima, le conservateur Luis Castañeda, président du parti "Solidaridad Nacional", a annoncé que toutes les peintures murales du centre historique devaient disparaître. La plupart d'entre elles avaient été réalisées par une trentaine d'artistes de différents pays, lors du festival Latidoamericano en 2013, sous la municipalité précédente dirigée par la gauche, alors qu'il n'existait pas de telles peintures auparavant.

Les motifs avancés par Luis Castañeda ? Le respect d’une ordonnance de 1994 – portant sur les monuments historiques – et des dispositions de l’Unesco, le centre historique de Lima étant classé au patrimoine mondial depuis 1991.

Immédiatement après cette annonce, plusieurs fresques ont été repeintes dans le centre-ville, suscitant la réaction de nombreux habitants de Lima.

"Sauvons les peintures murales", peut-on lire sur cette pancarte brandie par un jeune homme. Photo publiée sur Twitter le 15 mars par @jsaldanacuba.

Quelques jours plus tard, l'Unesco a réagi en indiquant "soutenir les efforts des Etats membres en faveur de la protection du patrimoine culturel et naturel", sans toutefois se référer directement à la récente décision du maire. "Se prononcer sur les décisions prises par les États au sujet de leur patrimoine culturel, matériel et immatériel ne fait pas partie de sa mission, sauf s’il fait face à un risque imminent", précise le communiqué de l’Unesco.

Le maire de Lima a par ailleurs été convoqué par la Commission de la culture et du patrimoine culturel du Congrès, afin d’expliquer les raisons l’ayant poussé à effacer les peintures murales dans le centre-ville.

Effacement de peintures murales. Photo publiée sur Facebook le 14 mars par le groupe "Lima Quiere Cultura".

"Les peintures murales permettent aux gens de s’approprier l’espace public"

Rebeca Ráez est l’actrice péruvienne ayant réalisé une performance artistique au pied d’une fresque, le 14 mars dernier.

Le 14 mars, j’ai appris qu’ils avaient commencé à effacer une peinture murale qui m’impressionne beaucoup, la plus grande dans le centre de Lima, sur la place de la Démocratie, à côté de la station Colmena. Elle a été réalisée par 17 artistes féminines, dont Mónica Miros, et était dédiée à la "Yakumama". [Ce terme signifie "mère de l’eau" et désigne un serpent géant vivant dans les eaux, selon la mythologie des peuples amazoniens, NDLR.]

Quand je suis arrivée sur place, la peinture était déjà effacée à 30 %. Je me sentais totalement impuissante et indignée. J’ai crié pour que les ouvriers arrêtent de repeindre cette œuvre, en vain. Pour moi, c’était paradoxal que ceux n’ayant précisément pas accès à l’art – comme les ouvriers – soient obligés d’effacer un symbole de la culture.

 

La performance de Rebeca Ráez à Lima, le 14 mars. Photo publiée sur son compte Facebook.

C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me dénuder. Dépouillé de ses vêtements, un corps nu s’affranchit des codes sociaux. C’est un acte très provocateur par rapport aux normes régissant notre société. Pour moi, c’était une manière de protester. Je me suis d’abord approchée de l’échafaudage qui était adossé au mur pour le secouer. Puis, j’ai utilisé la corde attachée à l’échafaudage pour m’attacher. Pour moi, cette corde symbolisait le lien me rattachant à cette œuvre. À travers cet acte, j’ai voulu symboliser la mort de la culture.

 

"Quasiment toutes les peintures murales ont déjà été effacées dans le centre-ville de Lima"

Quasiment toutes les peintures murales ont déjà été effacées dans le centre-ville de Lima, qui en compte une soixantaine. En plus, le maire a utilisé de la peinture jaune pour recouvrir une bonne partie des fresques, alors que c’est la couleur de son parti ! Il a finalement été contraint d’utiliser d’autres couleurs sous la pression de l’opinion publique…

Avant - pendant - après...

Les peintures murales sont essentielles car elles permettent de colorer Lima, connue pour son ciel gris en hiver. Cet art permet également aux gens de s’exprimer et de s’approprier l’espace public. La décision du maire est un "attentat culturel" à mes yeux, car l’art est un élément important de l’identité d’un pays. Mais on dirait que le maire veut empêcher les habitants de rêver et uniformiser la ville. Pour lui, la culture représente un danger...

Plusieurs groupes – tels que "Lima Quiere Cultura" et "Emergencia Cultural" – et de nombreux artistes – comme Elliot Tupac et Jade Rivera – ont réagi. [De jeunes artistes ont notamment commencé à peindre un mur de 120 mètres de large à San Juan de Miraflores, un district de Lima, NDLR.]

 

Images postées par l'artiste Elliot Tupac sur Twitter.

Plusieurs marches ont également été organisées. Le but ? Récupérer à nouveau l’espace public, faire respecter les droits des artistes et exiger une participation citoyenne plus grande dans les prises de décision politique.

"Le vandalisme, c'est ce que Castañeda commet, l'art, c'est ce qui est exprimé sur ces murs. Quand arrêteront-ils?"

Cet article a été écrit en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.