Les jeunes Tchadiens s’enflamment contre l’obligation de porter le casque
Depuis dix jours, N'Djamena est le théâtre de manifestations violentes, opposant lycéens et étudiants aux forces de l’ordre. L’objet de la colère des jeunes manifestants ? Un arrêté ministériel qui rend obligatoire le port du casque à moto, un de leurs moyens de transport privilégié. Ils protestent contre son application très stricte par les forces de l’ordre et le coût qu’implique cette nouvelle obligation.
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Un bus brûle à N'Djamena en marge de la manifestation du 9 mars. Photo publiée sur le blog Makaila
Depuis dix jours, N'Djamena est le théâtre de manifestations violentes, opposant lycéens et étudiants aux forces de l’ordre. L’objet de la colère des jeunes manifestants ? Un arrêté ministériel qui rend obligatoire le port du casque à moto, l'un de leurs moyens de transport privilégié. Ils protestent contre son application très stricte par les forces de l’ordre et le coût qu’implique cette nouvelle obligation.
La décision ministérielle est entrée en vigueur le 1er mars. Elle prévoit d’arrêter tout usager qui circulerait sans casque et de lui confisquer son véhicule, qu’il pourra récupérer après s’être acquitté d'une amende. Pour les autorités tchadiennes, il s’agit de réduire le taux de décès causés par les accidents de la route : chaque année, 250 personnes trouveraient la mort et 3 000 se retrouveraient en situation de handicap après un accident de la route. Les manifestations ont commencé en début de semaine dernière (dès le 2 mars) et ont dégénéré lundi 9, où au moins trois manifestants ont trouvé la mort selon nos Observateurs. Les forces de l’ordre tchadiennes ont pour l’instant refusé de communiquer un bilan des manifestations.
Arrestation de manifestants le vendredi 5 mars à N'Djamena, embarqués par la police – deux camionnettes sont visibles, allant de la droite vers la gauche de l'écran. Vidéo tournée par un de nos Observateurs.
"On voit tout et n’importe quoi, certains se baladent avec des canettes vides sur la tête en guise de protection"
Moussa N. (pseudonyme) vit à N’Djamena et a assisté aux manifestations.
Les manifestations ont commencé lundi dernier, le 2 mars, le lendemain de l’entrée en vigueur du décret obligeant le port du casque. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’interpellation de deux lycéens du lycée Félix-Eboué à un rond-point de N’Djamena, l’un des plus importants de la ville, et qui circulaient à moto sans casque. Les policiers les ont molestés et leur ont confisqué la moto. Du coup, des élèves du lycée sont allés manifester contre le décret et des heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre. Le lendemain, une brève manifestation a aussi eu lieu, mais c’est surtout lundi 9 mars que la situation a dégénéré.
Manifestation de lycéens et d'étudiants début mars à N'Djamena. Photo publiée sur le blog Makaila
Les lycéens de Félix Eboué s’étaient passé le mot avec d’autres lycées et avec les étudiants du campus universitaire voisin. Beaucoup de jeunes sont donc allés manifester, ils s’en sont pris aux motocyclistes, leur arrachant leur casque pour les briser. Ils ont trouvé face à eux un dispositif de forces de l’ordre impressionnant, avec trois corps de forces de l’ordre mobilisés : gendarmerie, police et garde nationale.
Plusieurs raisons expliquent l’opposition des lycéens à ce décret. D’abord, beaucoup estiment que le port du casque n’est vraiment nécessaire que sur de longues distances, parcourues à grande vitesse, et qu’il ne l’est pas sur les trajets en ville, moins rapides, comme ceux qu’ils font entre leur domicile et le lycée. Ensuite, le décret ne précise pas clairement quel type de casque il faut porter. Du coup, depuis une semaine, on voit tout et n’importe quoi : certains se baladent par exemple avec des canettes vides sur la tête en guise de protection... Enfin, certains n’ont pas envie d’acheter des casques qui auraient déjà servi, car ils craignent que ces casques ne véhiculent des maladies en passant de tête en tête.
Dispositif policier à N'Djamena, début mars. Photo postée sur Twitter par @YoussoufAbdel
Un autre de nos Observateurs à N’Djamena avance pour sa part des raisons économiques pour expliquer le mouvement d’opposition au décret, qu’il inscrit dans une défiance de plus en plus généralisée envers le président tchadien Idriss Déby Itno.
"Les commerçants ont doublé les prix des casque"
Mahamat Nour Ahmat Ibedou est secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’Homme, une ONG basée à N'Djamena.
Ce décret passe mal car, avec l’annonce de son entrée en vigueur, les commerçants ont augmenté le prix des casques, qui peuvent se vendre jusqu’à 25 000 Francs CFA (environ 38 euros), soit deux voire trois fois plus qu’auparavant. Et ce, alors qu’il y a eu des retards sur le versement des salaires des fonctionnaires en février, qui ont été payés début mars. Par ailleurs, la vie chère est un problème constant au Tchad, et l’augmentation du prix des casques ne fait que l’illustrer et accroître les frustrations des gens. Comme souvent, le gouvernement a imposé ce décret sans faire de concertation, ni assurer la sensibilisation sur la nécessité de porter le casque.
En réaction aux manifestations et aux violences qui les ont émaillées, le gouvernement a ordonné une fermeture temporaire des écoles et universités de N'Djamena et a suspendu les échanges de SMS.
Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à FRANCE 24.