FRANCE

Immigration clandestine à Mayotte : le récit d’un Comorien

Un bateau de migrants venant des Comores accoste sur un îlot de Mayotte, sans aucun contrôle et en plein jour… La vidéo amateur pointe, selon les médias mahorais, les failles dans la protection des frontières aux abords de l’île française. Notre Observateur, qui a tenté plusieurs fois la traversée, explique les stratégies d’approche de ces embarcations de fortune.

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Un bateau de migrants venant des Comores accoste sur un îlot de Mayotte, sans aucun contrôle et en plein jour… La vidéo amateur pointe, selon les médias mahorais, les failles dans la protection des frontières aux abords de l’île française. Notre Observateur, qui a tenté plusieurs fois la traversée, explique les stratégies d’approche de ces embarcations de fortune.

Samedi 21 février, un habitant de Mtsomboro, dans le nord-est de l’île de Mayotte, filme l’arrivée d’une dizaine de migrants clandestins venant d’Anjouan, aux Comores. L’embarcation, un kwassa-kwassa, accoste sur un îlot à sept kilomètres de la grande île de Mayotte.

Vidéo publiée le 21 février sur Youtube filmée près de l'îlot de Mtsomboro à Mayotte.

"Les passeurs ont leurs informateurs sur les côtes de Mayotte pour éviter les contrôles"

La vidéo a fait la une des médias, pourtant ces scènes sont courantes à Mayotte où des milliers de Comoriens tentent d’arriver clandestinement dans ces petits bateaux de pêcheurs chaque année. Wissam (pseudonyme), 28 ans, est l’un d’entre eux : il a fait trois fois la traversée.

Ce n’est pas surprenant de voir un bateau accoster en plein jour : les kwassa-kwassa sont fréquents de jour comme de nuit. Il y a des patrouilles et des radars qui quadrillent la zone côtière aux Comores [quatre radars, six embarcations de la police aux frontières et un hélicoptère effectuent régulièrement des contrôles, NDLR]. Pour les éviter, les passeurs ont leurs informateurs sur les côtes de Mayotte, des Mahorais ou des Comoriens, qui les avertissent de présence policière par téléphone.

Selon les périodes, les embarcations accostent tantôt sur l’îlot de Mtsamboro au nord, tantôt au sud de la grande île. C’est tout un business bien huilé. Moi je ne me suis pas fait attraper à mon arrivée par bateau, mais lors de contrôles inopinés dans les rues.

"Les passeurs mentent parfois aux passagers pour les larguer sur un îlot à sept kilomètres de Mayotte"

Selon Wissam, la traversée qui prend normalement trois à quatre heures, si elle se fait directement d’Anjouan à l’îlot de Mtsamboro, peut durer le double pour éviter les patrouilles.

En cas de détour non prévu, le prix augmente : ça peut passer de 300 [le prix moyen d’une traversée] à 500 euros [le salaire moyen d’un fonctionnaire aux Comores est de 80 euros par mois, NDLR].

De nuit, il est fréquent que les passeurs mentent à leurs passagers, en leur disant qu’ils sont arrivés à Mayotte : en réalité, ils n’ont qu’accosté sur l’îlot de Mtsamboro (voir carte ci-dessus), à sept kilomètres de la grande île, où il n’y a pas d’eau potable, seulement quelques plantations de bananes. Ceux qui veulent arriver à destination doivent avoir recours à un second passeur pour environ 200 euros. Ces seconds passeurs sont en général des pêcheurs qui prennent moins de risques en ne prenant que quelques personnes car cette zone est davantage surveillée. J’ai déjà été caché sous leur marchandise pour ne pas attirer les soupçons.

 

"Les kwassa-kwassa exploitent nos besoins en faisant payer des fortunes"

La majorité des Comoriens qui arrivent à Mayotte le font pour rejoindre certains membres de leur famille. Certains sont nés ici, d’autres ont obtenu la nationalité française [le droit du sol à Mayotte est soumis à des conditions très strictes, beaucoup d’élus politiques demandent même sa suppression, NDLR]. La deuxième raison de ces arrivées clandestines est souvent médicale : des Comoriens préfèrent se faire soigner dans les hôpitaux bien équipés de Mayotte tant l’état de ceux des Comores est catastrophique. Ces kwassa-kwassa exploitent ces besoins en faisant payer des fortunes, mais nous n’avons pas d’autres choix.

Dans la vidéo, l'un des passeurs montre son pouce en l'air à la personne qui filme l'embarcation.

Plus de 15 000 reconduites à la frontière en 2014

Depuis 1993, il est nécessaire d’avoir un visa délivré par la France pour se rendre des Comores à Mayotte, îles séparées de 70 kilomètres. Ces visas impliquent des frais de dossiers allant de 9 à 100 euros selon la durée du séjour, et sont encaissés même si le visa n’est pas obtenu. La constitution du dossier nécessite la présentation de nombreuses pièces, comme un passeport ou une attestation d’assurance, dont les frais sont hors de portée pour la plupart des Comoriens.

Les contrôles ont par ailleurs été renforcés quand Mayotte est devenu le 101e département français en 2011. La police mahoraise intercepte fréquemment des embarcations bondées de migrants, comme début février 2015. En 2014, 15 408 personnes ont été reconduites à la frontière avec les Comores. Entre 60 000 clandestins et 100 000 clandestins vivraient actuellement à Mayotte.

À la fin de la vidéo de six minutes, le bateau repart immédiatement après avoir laissé les personnes accoster.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.