Des citoyens tadjiks piégés dans un meeting du parti présidentiel
Des étudiants et fonctionnaires tadjiks ont été invités à se rassembler, dimanche 22 février, dans un parc de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, sans savoir précisément pour quelle raison. Lorsqu’ils se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un meeting du parti présidentiel, certains ont essayé de rebrousser chemin… mais on trouvé les portes du parc fermées à clé.
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Un habitant de Douchanbé tente de sortir du parc où se tient un rassemblement du parti présidentiel tadjik. Photo publiée sur Facebook et reprises par Ozodagon.
Des étudiants et fonctionnaires tadjiks ont été invités à se rassembler, dimanche 22 février, dans un parc de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, sans savoir précisément pour quelle raison. Lorsqu’ils se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un meeting du parti présidentiel, certains ont essayé de rebrousser chemin… mais ont trouvé les portes du parc fermées à clé.
Le Parti démocratique national du Tadjikistan (NDTP) organisait dimanche 22 février dans le parc Poytakht un de ses derniers grands meetings avant les élections parlementaires qui se tiendront le 1er mars. Des hauts responsables du parti présidentiel étaient présents pour l'occassion.
En fin de matinée, plusieurs dizaines de personnes ont essayé de sortir du parc mais sont tombées sur des portes fermées. Un internaute a posté des photos sur Facebook accompagnées d’un commentaire montrant qu’il n’était pas au courant qu’il s’agissait d’un rendez-vous politique :
"Nous nous sommes levés un dimanche, seul jour de repos de la semaine. Nous avons compris qu’il s’agissait d’un meeting politique lorsqu’on a vu les flyers. […] Ils ne nous ont pas laissé sortir. Certains essayaient d’escalader le portail pour s’enfuir… des hommes, des femmes et des enfants, nous étions tous comme des animaux en cage… Est-ce que c’est ça la démocratie pour laquelle on doit voter ?"
Des personnes présentes au meeting tentent de sortir, mais trouvent les portes du parc fermées. Photo publiée sur Facebook et reprises par le média kirgize Ozodagon.
Des étudiants venus "participer à des activités sportives"
L’internaute a depuis supprimé sa publication, mais ses photos ont été reprises par plusieurs médias tadjiks. Des Observateurs à Douchanbé, contactés par France 24, confirment que des étudiants d’une université de la ville ont été emmenés dans le parc ce dimanche par des responsables de leur foyer universitaire pour participer à des activités sportives, sans leur préciser qu'il s’agissait en fait d’un rassemblement politique. La plupart d'entre eux seraient restés de 8 h à 10 h avant d’essayer de sortir du parc. Les portes se seraient rouvertes aux alentours de 11 h.
Les médias tadjiks évoquent également des fonctionnaires et des élèves d’écoles publiques incités à venir au rassemblement. Interrogé sur la situation, le ministre de l’Éducation a expliqué que les personnes étaient selon lui "venues volontairement".
Photo prise le jour du rassemblement dans le parc de Douchanbé le dimanche 22 février.
"Les étudiants suivent le mouvement de peur d’avoir ensuite de mauvais résultats"
Pourquoi avoir fermé les portes du parc et empêché des personnes de sortir ? Doro Tadji (pseudonyme), journaliste freelance à Douchanbé, avoue ne pas avoir bien compris l’objectif.Le parti présidentiel va sans problème très probablement, comme depuis vingt ans, l’emporter lors des élections. Pourquoi font-ils cela alors ? Ils veulent peut-être montrer qu’ils ont le soutien de beaucoup de gens. Peut-être aussi parce qu’ils ont peur de perdre quelques sièges lors de cette élection.
Ce n’est pas la première fois qu’on entend que des étudiants ou des fonctionnaires sont fortement incités par leur professeur ou leur hiérarchie à rejoindre un rassemblement politique du parti présidentiel. Certains l’acceptent, par conviction, et portent même les t-shirts et casquettes distribués. D’autres le font davantage par peur de perdre leur emploi ou d’avoir de mauvais résultats scolaires. Cependant, c’est la première fois qu’un cas comme ça est dénoncé publiquement par un internaute, avec des images.
Selon nos Observateurs, des étudiants sont fréquemment enrôlés pour grossir les rangs des meetings. Certains accepteraient par peur de voir leur scolarité menacée.
Pression sur l’opposition : candidatures empêchées et scandales sexuels sur le Web
L’hégémonie du parti au pouvoir est en effet de plus en plus contestée par le parti de la Renaissance islamique tadjik (IRPT). Celui-ci n’a pour l’instant que deux sièges sur les 63 possibles, tous les autres appartenant au parti présidentiel.
Si aucun sondage n’évoque clairement la progression de l’IRPT, ce parti affirme être sous pression des autorités depuis plusieurs mois : la moitié des candidats de l’IRPT ont échoué au test de langue tadjike obligatoire pour se présenter ; d’autres membres ont également été la cible de diffamation sur les réseaux sociaux avec la publication de vidéos sexuellement explicites les mettant en cause.
Rahmon, le président tadjik, a été réélu fin 2013 pour un quatrième mandat avec 83 % des voix. Les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avaient à l’époque jugé que l’élection manquait de "vrai pluralisme et de réel choix possible pour les électeurs" évoquant des "obstacles à l'enregistrement des candidats d'opposition" et "l’ avantage dont a usé le président sortant dans les médias publics". Les quatre autres candidats, quasi inconnus du grand public, n’avaient pas dépassé les 5 %.
Ce billet a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.