RWANDA

Kigali modernise les bus… et désespère les usagers

Depuis un an, la mairie de Kigali troque les minibus contre de grands bus aux standards des capitales modernes. Une bonne idée sur le papier. Sauf qu’aujourd’hui, prendre le bus dans certains quartiers de la capitale rwandaise est devenu un calvaire, tant les files d’attente sont longues.

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Une file d'attente dans le centre-ville de Kigali. Capture d'écran de l'une des vidéos ci-dessous.

Depuis un an, la mairie de Kigali troque les minibus contre de grands bus aux standards des capitales modernes. Une bonne idée sur le papier. Sauf qu’aujourd’hui, prendre le bus dans certains quartiers de la capitale rwandaise est devenu un calvaire, tant les files d’attente sont longues.

Depuis le mois d’août 2013, la municipalité de Kigali a décidé de réorganiser les transports publics. Une des mesures prévoit notamment de "privilégier des bus modernes, plus gros et plus élégants" pour désengorger le trafic très dense dans le centre-ville de la capitale rwandaise, selon le rapport de l’Organe de régulation du service public rwandais (RURA).

La ville de Kigali souhaite mettre de l’ordre dans les transports urbains : depuis juin 2014, les minibus sont donc interdits de circuler dans certaines parties du centre-ville. L’autorisation de circuler a été confiée à cinq opérateurs qui affrètent des bus de 47 places plutôt que des minibus. Environ 6 millions d’euros ont déjà été investis dans ce projet.

Dès août 2014, un premier rapport a montré que des files d’attente très importantes se formaient aux arrêts de bus. Le maire de Kigali avait alors estimé que ces problèmes seraient "réglés avant la fin de l’année". Nos Observateurs à Kigali confirment pourtant que des files d’attente interminables se forment toujours aux heures de pointe. Car le nombre de nouveaux bus est très insuffisant pour remplacer efficacement la multitude de minibus qui ont été bannis du centre-ville.

Vidéo prise par un Observateur le 19 janvier dans le centre-ville de Kigali à l'arrêt de bus "Nyamirambo".

"Officiellement, on nous dit qu’il n’y a pas plus de 15 minutes d’attente"

Mukasonga (pseudonyme) habite à Kamisiraga, dans l’est de Kigali et prend le bus tous les jours pour aller travailler en centre-ville.

Quasiment tous les matins, entre 6 h et 9 h, j’attends au minimum quarante minutes, debout, avant de prendre mon bus. Le soir, entre 17 h et 21 h, il m’est déjà arrivé d’attendre jusqu’à deux heures pour rentrer chez moi. Officiellement, on nous dit pourtant qu’il n’y a pas plus de 15 minutes d’attente maximum [les documents officiels parlent même de sept minutes, NDLR]. Mais j’ai l’impression que ces estimations ont été faites sans tenir compte de la réalité des usagers !

"J’ai arrêté de prendre le bus car je n’en pouvais plus d’attendre"

En juin dernier, consciente des temps d’attente important, la ville de Kigali avait annoncé augmenter son parc de 180 à 300 bus. Ces mesures n’ont pas convaincu certains utilisateurs, comme Theoneste (pseudonyme), habitant du centre-ville de Kigali.

J’ai arrêté de prendre les bus, pourtant plus pratiques pour moi et j’ai recommencé à circuler en voiture. D’abord parce que je n’en pouvais plus de l’attente, mais aussi parce que le prix du ticket a été multiplié par deux [de 100 francs rwandais, soit 13 centimes d’euros, à 200 francs rwandais, soit 25 centimes, NDLR]. Il m’arrive fréquemment le matin de faire du covoiturage avec des amis, ou même avec des inconnus. On ne comprend pas pourquoi il y a toujours autant d’attente aux bus, sept mois après les premières évaluations !

Vidéo prise le lundi 9 février par notre Observateur Mukasonga. Ce soir là, au moins trente minutes d'attente à cet arrêt de la Ligne Remera dans le centre-ville.

"La ville a changé de look grâce à ces bus"

Si une grande majorité des habitants de Kigali contactés par France 24 reconnaissent que l’attente est souvent longue, certains se félicitent de la modernisation du système de bus, comme Leon (pseudonyme) :

La plupart des minibus étaient insalubres, voire même dangereux : j’ai souvent été témoin de scènes de bagarres. Les files d’attente existaient déjà pour ces plus petits véhicules, mais c’est vrai qu’elles étaient beaucoup moins importantes. Je trouve pour ma part que c’est tout de même une bonne décision : la ville a changé de look avec ces gros bus élégants, et Kigali ressemble davantage à une ville moderne.

"Nous n'avons pas sous-estimé les besoins des usagers à Kigali"

La ville de Kigali a-t-elle sous-estimé les besoins de ses usagers en optant pour une telle mesure ? "Pas du tout", selon Bruno Rugira, porte-parole à la mairie de Kigali. Il explique :

Il est vrai qu’il y a des files d’attente. Pourtant nous avons fait une évaluation des besoin et nous avons doublé le nombre de bus nécessaires selon cette évaluation. Nous avons mis de l’ordre dans ce secteur et nous avons instauré une liste d’entreprises clairement identifiées auprès desquelles les usagers peuvent se plaindre en cas de retard ou de problème, ce qui n’était pas forcément le cas avec les minibus, dont beaucoup n’avaient pas de licence.

Le Rwanda est souvent cité comme un exemple de développement économique du continent africain, parfois surnommé la "Silicon Valley de l’Afrique". De nombreux plans ont déjà été lancés depuis la fin de la guerre civile, comme une politique de modernisation de l’habitat, pour que le Rwanda devienne un pays émergent courant 2020. L’État rwandais n’hésite pas à communiquer sur ces volontés de modernisation suivant les "standards occidentaux". Des mesures qui, comme le montre l’exemple des transports en commun, comportent quelques fausses notes sur le terrain.