TURQUIE

Survivre en Turquie lorsqu’on est enfant de réfugié syrien

L’image de cet enfant syrien de onze ans réfugié en Turquie a fait le tour des réseaux sociaux. Halil, onze ans, en pleurs et ensanglanté, vient d’être frappé par un responsable de la chaine de fast-food Burger King en Turquie pour avoir tenté de manger les frites d’un client. Une scène du quotidien, symbole des épreuves que rencontrent les enfants réfugiés syriens en Turquie.

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Photo montrant un enfant syrien blessé et en pleurs après avoir été frappé par un employé de Burger King à Instabul alors qu'il tentait de manger des restes de frites.

L’image de cet enfant syrien de onze ans réfugié en Turquie a fait le tour des réseaux sociaux. Halil, onze ans, en pleurs et ensanglanté, vient d’être frappé par un responsable de la chaine de fast-food Burger King en Turquie pour avoir tenté de manger les frites d’un client. Une scène du quotidien, symbole des épreuves que rencontrent les enfants réfugiés syriens en Turquie.

Des milliers de personnes ont traversé la frontière direction la Turquie depuis le début de la crise syrienne en 2011 : les autorités turques estiment qu’ils seraient environ 1,6 million de réfugiés syriens, un chiffre qui pourrait atteindre les 1,7 million en 2015 selon le Haut Commissariat aux réfugiés.

Parmi eux, plus de 200 000 personnes vivent dans des camps de fortune à la frontière entre les deux pays. Les autres ont tenté leur chance dans les grandes villes turques, où ils s’entassent dans des appartements et pour beaucoup font la manche dans les rues. Plus de la moitié d’entre eux sont des enfants.

La Turquie s’est voulu une terre d’accueil pour ces réfugiés, mais cet afflux sans précédent a provoqué des tensions avec certains autochtones. Symbole de ce malaise : les enfants syriens qui sillonnent les rues des principales villes comme Ankara ou Istanbul et sans d’autres choix que de mendier ou de partir à la recherche de nourriture abandonnée, comme le jeune Halil frappé dans un Burger King d’Istanbul le 21 janvier. Cet incident a suscité une vague d’indignation et conduit au licenciement du gérant du fast food.

Photo d'un enfant syrien jouant avec une arme en carton à Reyhanli. Photo Walid Aldabbak.

Photo de l'enfant au Burger King. Dans le tweet est écrit "N'"oubliez pas cette image. Un enfant syrien battu parce qu'il voulait manger des frites."

“Ces enfants doivent prouver qu’ils sont démunis de tout pour espérer avoir quelque chose ”

Nousha Kabawat est la fondatrice et directrice du projet "Espoir et paix"(Amal ou Salam). Son association met en place des ateliers pour les enfants réfugiés syriens en Turquie, mais aussi au Liban ou en Jordanie.

Je travaille principalement avec les enfants en dehors des camps de réfugiés : ce sont les "oubliés "de ce conflit. Les gens envoient des dons aux camps, car ils pensent que ce sont ceux qui vivent dans les conditions les plus précaires. Pourtant, ceux qui vivent en dehors sont dans des situations souvent plus difficiles. Dans certains villages reculés, les Syriens réfugiés n’ont même aucune interaction avec les Turcs.

Au centre d’Istanbul, notamment sur la place Taksim, on voit énormément d’enfants syriens mendier, parfois seuls, parfois avec leur famille. Une fois, j’en ai vu montrer leurs cartes d’identité syrienne, comme s’ils voulaient dire "Je ne suis pas un mendiant turc, je suis un réfugié, sans votre aide, je ne survivrai pas ". C’est comme si ces enfants devaient prouver qu’ils n’ont rien pour espérer que les gens leur donnent quelque chose

Le gouvernement turc a mis en place un "régime temporaire de protection" qui doit théoriquement permettre aux réfugiés d’avoir accès à une couverture santé et à l’éducation. Pourtant, la moitié des enfants syriens en Turquie ne sont pas scolarisés. Notre Observatrice confirme :

Quelques écoles turques ouvrent une partie de la journée pour les enfants turcs, et puis quelques heures dans l’après midi pour les Syriens. Mais les établissement sont trop petits et n’ont pas les moyens financiers pour accueillir tous les enfants. Ils ont aussi remarqué que même si les enfants syriens peuvent aller à l’école, souvent, leurs parents ne les laissent pas partir. Certaines femmes sont veuves et ont du mal à laisser leurs enfants sans surveillance.

 

Photo d'un enfant syrien dans un camp de réfugiés turcs. Photo Walid Aldabbak.

 

"Les enfants turcs jalousent parfois les Syriens, qu’ils accusent d’attirer toute l’attention"

L’école est également un lieu de tensions entre enfants syriens et turcs. J’ai eu l’occasion de faire un atelier dans un établissement où il y avait des jeunes syriens. Les enfants turcs étaient frustrés parce qu’ils avaient l’impression que les Syriens avaient toute notre attention. Certains devenaient même violents, et commençaient à leur voler leurs affaires. Les enfants syriens se sentent comme prisonniers de cette situation.

 

"Si les enfant syriens vont à l’école, leur famille n’a plus assez d’argent pour survivre"

Si certains enfants ont la possibilité d’aller à l’école, beaucoup de familles sont dépendantes d’eux pour survivre financièrement. Senay Ozden est un anthropologue qui travaille quotidiennement sur la question des réfugiés.

On retrouve ici le schéma classique de la construction d’un sentiment anti-immigrés. Les Syriens sont une main d’œuvre très peu onéreuse, notamment ceux qui travaillent au noir car ils n’ont pas de permis de travail. Les employeurs n’hésitent donc pas à licencier des Turcs pour embaucher des Syriens qu’ils vont rémunérer beaucoup moins chers. Ce qui a abouti à une véritable exploitation de cette main d’œuvre. Nous avons besoin d’un nouveau cadre légal qui permettra de donner des permis de travail aux Syriens.

Dans cette situation de pauvreté, les familles syriennes doivent compter sur leurs enfants et s’ils vont à l’école, ils se privent d’argent supplémentaire que ces derniers peuvent gagner en mendiant. De plus, envoyer son enfant à l’école, c’est souvent avoir des frais supplémentaires comme les transports… et ça, beaucoup de familles syriennes ne peuvent pas se le permettre.

Photo Walid Aldabbak.

Article rédigé en collaboration avec  Andrew Hilliar (@andyhilliar), journaliste à France 24.