UKRAINE

Sur le front ukrainien, des médecins sans salaires et sans matériel

Dans l’est de l’Ukraine, personne ne semble être épargné par le conflit qui déchire la région depuis près d’un an. Le 19 janvier dernier, c’est l’hôpital de Donetsk qui était touché par un tir d’obus. Un nouveau coup porté au système médical dans les zones tenues par les rebelles, où les docteurs travaillent au milieu des combats avec le minimum.

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Dans l’est de l’Ukraine, personne ne semble être épargné par le conflit qui déchire la région depuis près d’un an. Le 19 janvier dernier, c’est l’hôpital de Donetsk qui était touché par un tir d’obus. Un nouveau coup porté au système médical dans les zones tenues par les rebelles, où les docteurs travaillent au milieu des combats avec le minimum.

La semaine dernière a été particulièrement sanglante dans l’est du pays, notamment à Donetsk, territoire que les forces gouvernementales et les séparatistes pro-russes se disputent depuis des mois. Le 22 janvier, un obus a explosé à un arrêt de tramway de la ville, tuant treize personnes, et ruinant par la même occasion tout espoir d’accord de paix. Les deux bords se sont mutuellement accusés d’être responsables de cette attaque. Personne n’a toutefois pu confirmer leurs versions des événements. Trois jours plus tôt, un obus était tombé sur un hôpital de la ville, l’un des trois établissements médicaux de Donetsk déjà touchés par des roquettes à la mi-janvier. De même, un hôpital psychiatrique a été endommagé par des tirs à Lougansk, à 150 km de Donetsk, le 14 janvier.

Un hôpital de Donetsk, après avoir été touché par un obus le 19 janvier. Photo prise par Anton Serov et publiée sur Facebook.

À mesure que les combats se sont intensifiés, les établissements de soins ont été progressivement endommagés. En novembre, un décret gouvernemental a interdit le versement des salaires dans la zone. Une décision s’inscrivant dans un ensemble de mesures destinées à supprimer toute forme de soutien aux services publics dans les territoires contrôlés par les rebelles.

Des convois "humanitaires" en provenance de Russie, et dont de nombreux observateurs affirment qu’ils acheminaient principalement des équipements militaires, ont malgré tout permis de ravitailler la zone tenue par les rebelles en matériel médical. Les groupes séparatistes sont par ailleurs accusés par l’ONG Human Rights Watch de menacer le personnel médical, de voler du matériel et d’utiliser les ambulances pour transporter des combattants.

"Le versement des retraites, l’approvisionnement en médicaments, les salaires des fonctionnaires… tout cela a été supprimé"

Plus d’un demi-million de personnes vivaient auparavant à Lougansk. Mais environ la moitié d’entre elles sont parties depuis le début du conflit. La ville se trouve désormais aux mains des séparatistes qui s’efforcent de repousser les offensives des forces gouvernementales. Emilie Rouvroy, coordinatrice régionale de projet pour Médecins sans frontières, a vu la situation empirer dans la région ces derniers mois. Elle se bat pour que les hôpitaux de la zone soient réapprovisionnés en médicaments.

Le principal problème rencontré par les hôpitaux et les centres de santé, c’est le manque de médicaments. Dans la pharmacie d’un hôpital de 300 ou 400 lits par exemple, il y a juste des étagères avec quelques cartons. On attend des médecins qu’ils soignent les patients à partir de rien. On rencontre les mêmes problèmes à tous les niveaux : dans les centres de santé, les pharmacies.

Les médecins ne peuvent pas travailler, notamment en raison du manque de produits anesthésiants. L’un d’eux m’a raconté qu’ils devaient opérer un enfant, mais qu’ils ne pouvaient pas le faire car ils ne disposaient pas de ces produits essentiels. Il est possible d’opérer certains adultes dans ces conditions, car ils peuvent parfois tenir malgré la douleur. Mais avec les enfants, c’est impossible.

Les maladies chroniques deviennent aussi de plus en plus problématiques. Ici, beaucoup de gens travaillent dans les mines et dans l’industrie du charbon. Ils développent fréquemment des maladies liées à leur travail et ont besoin de suivre un traitement quotidien. Mais c’est impossible actuellement. Si aucune réponse n’est apportée rapidement, la santé de la population va vraiment en pâtir à long terme.

 

"Une fois que les médecins ont compris ce qui n’allait pas, ils ne peuvent rien faire"

On manque aussi de médicaments destinés aux patients souffrant de problèmes psychiatriques. Dans les établissements pour personnes atteintes de troubles mentaux ou personnes âgées, les gens ont besoin d’une attention médicale permanente. Pourtant, il n'y a plus de médicaments sur place. Ils n’ont même plus de quoi nettoyer les locaux. Les médecins continuent leurs consultations, mais une fois qu’ils ont compris ce qui n’allait pas, ils ne peuvent rien faire.

Ce sont toujours les personnes les plus vulnérables qui sont le plus affectées. Par exemple, les retraités et les personnes handicapées qui touchaient des aides de l’État ne reçoivent plus rien désormais. Ils doivent donc compter sur l’aide de la communauté. Ça peut continuer à fonctionner encore six mois, mais pas pendant une année entière. Ce système peut s’effondrer à n’importe quel moment.

 

Un hôpital de Donetsk, après avoir été touché par un obus. La plupart des fenêtres ont été soufflées. Photo prise par Anton Serov et publiée sur Facebook.

 

"Les gens demandent : 'Où sont les travailleurs humanitaires ?'"

Le gouvernement ukrainien a arrêté de verser les salaires bien avant le décret paru en novembre, et l’approvisionnement en médicaments avait déjà cessé depuis six mois. C’est la même chose en ce qui concerne le soutien aux services publics et sociaux dans leur ensemble. Le versement des retraites, l’approvisionnement en médicaments, les salaires des fonctionnaires… tout cela a été supprimé. Et il est extrêmement compliqué pour nous d’aider la population. Les gens demandent : "Où sont les travailleurs humanitaires ?" Dans certains hôpitaux, 20 % du personnel est parti. Et dans d’autres, c’est plus de 50 %.

 

"Certains hôpitaux n’ont plus de fenêtres parce qu’elles ont été soufflées par les déflagrations. C’est pourquoi il fait très froid sur place"

Depuis la mi-janvier, toutes les villes proches du front subissent des bombardements quotidiens. Les écoles, les maisons et les hôpitaux ont été touchés. Certains hôpitaux n’ont plus de fenêtres parce qu’elles ont été soufflées par les déflagrations et il y fait un froid glacial. J’ai visité un hôpital de Lougansk bombardé le 20 janvier. Le personnel a eu peur, car une bombe est tombée à dix mètres du bâtiment, juste à côté d’un abri installé par le chef de service pour tout le monde. On a dû faire appel à une cellule de soutien psychologique pour les médecins qui sont sujets à un stress énorme. Les médecins ne demandent jamais aux gens s’ils sont des civils ou des militaires. Ce sont des patients avant tout.

Cet article a été rédigé avec la collaboration de Andrew Hilliar (@andyhilliar), journaliste à FRANCE 24.