Algérie : le gaz de schiste aggrave la fracture entre population et gouvernement
Depuis le début de l’année, des manifestations s’intensifient à In Salah, ville du Sahara algérien près de laquelle le pays a lancé fin décembre l’exploitation de son premier puits de gaz de schiste par fracturation hydraulique. Les habitants de la région redoutent les conséquences environnementales de cette exploitation et dénoncent l’absence de concertation des autorités.
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Manifestation à In Salah, mercredi. Photo postée sur Twitter par @adlenmeddi
Depuis le début de l’année, des manifestations s’intensifient à In Salah, ville du Sahara algérien près de laquelle a été lancée, fin décembre, l’exploitation du premier puits de gaz de schiste par fracturation hydraulique. Les habitants de la région redoutent les conséquences environnementales de cette exploitation et dénoncent l’absence de concertation des autorités.
Avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire "Gaz de schiste, désastre sanitaire ", "Nous ne sommes pas des cobayes", "Des projets d’extermination, un pays sans souveraineté", mercredi 14 janvier, selon le journal "El Watan", près de 15 000 personnes ont manifesté à In Salah, 4 000 à Tamanrasset, 5 000 à Ouargla. Cette région est l’une des sept zones identifiées par l’Algérie comme étant potentiellement riche en gaz de schiste. Le pays pourrait en effet abriter la troisième réserve mondiale de cet hydrocarbure, derrière la Chine et l’Argentine. Et les autorités semblent avoir décidé de diversifier leur production d’énergie, notamment face à la chute du prix du pétrole et la fin annoncée de l’or noir.
Manifestation à In Salah, mercredi. Photo postée sur Twitter par @adlenmeddi
Or, l’exploitation du gaz de schiste n’est aujourd’hui possible que par la technique de la fracturation hydraulique, laquelle suscite de nombreuses controverses. Outre le fait qu’elle soit très coûteuse, elle aurait un impact sur l’environnement, car elle pourrait contaminer des nappes phréatiques et rejeter du méthane dans l’atmosphère, un gaz dont l’effet de serre est plus puissant que celui du CO2. Ces incertitudes sont notamment à l’origine des manifestations répétées dans les localités du bassin de l’Ahnet, explique notre Observatrice.
"Nous risquons d’être à cours d’eau ou d’avoir une eau polluée"
Hacina Zegzeg vit et travaille à In Salah, où elle est l'une des coordinatrices du mouvement de contestation.Des mobilisations avaient déjà été organisées l’an dernier, mais la contestation s’était calmée notamment parce que le gouvernement avait assuré qu’il ne commencerait l’expoitation du gaz de schiste qu’à partir de 2022. Mais fin décembre, le Premier ministre est venu inaugurer le premier forage du pays, à 28 kilomètres d’In Salah… Alors qu’en plus, nous n’avions pas été prévenus de sa visite. Tous ces éléments ont déclenché le mouvement.
Ce qui nous mobilise, c’est avant tout le risque que fait courir une exploitation de gaz de schiste à proximité de notre ville. À In Salah, la nappe phréatique est fossile, elle ne se renouvelle pas ou peu. Or la fracturation hydraulique requiert une utilisation massive d’eau et menace de polluer le sol. Nous risquons donc d’être à cours d’eau ou d’avoir une eau polluée.
Mais selon le gouvernement, ce projet est censé être très bénéfique pour In Salah. Le ministre de l’Énergie a encore assuré récemment qu’on s’inquiétait pour rien et que l’extraction du gaz de schiste est sans danger pour l’environnement et la population. Or, quand j’entends l’analyse de certains experts indépendants ou quand j’entends François Hollande dire que la France n’exploitera pas le gaz de schiste tant qu’il sera président, vous imaginez bien que je ne crois pas ce que disent les autorités algériennes.
Les manifestations témoignent aussi d’un vrai ras-le-bol : le gouvernement a promis que le projet d’extraction du gaz de schiste allait créer des emplois et qu’il s’accompagnerait d’investissements pour In Salah. On nous a déjà fait le coup par le passé : au cours des années 2000, des entreprises comme BP ont commencé à exploiter des gisements de gaz conventionnels près d’In Salah. L’exécutif nous avait promis que ça aurait des retombées sur la ville, on nous parlait de plus de servies de santé, d’éducation… mais pour moi, rien n’a vraiment changé. Le chômage reste fort, nous manquons d’infrastructures.
Le ministre de l’Énergie Youssef Yousfi a assuré que des efforts seraient faits pour assurer "la cimentation des puits" et "la gestion intégrée des rejets des forages". Selon lui, l’exploitation du gaz de schiste permettrait à l’Algérie de "diversifier ses sources d'énergie", alors que "les nouvelles techniques utilisées permettent une extraction sans danger de ce type de gaz". Le PDG de Sonatrach, l’entreprise publique algérienne d’hydrocarbures, a par ailleurs souligné que son groupe investirait environ 70 milliards de dollars sur 20 ans afin de forer près de 200 puits de gaz de schiste par an. Des investissements qui doivent permettre "la création de 50 000 emplois", assure Said Sahnoun .
Pour notre Observatrice, il serait plus judicieux d’investir dans les énergies renouvelables.
"Nous avons appris depuis longtemps à respecter l’environnement"
Il y a d’autres solutions à portée de mains. In Salah se trouve dans l'une des régions qui connaît le plus fort taux d’ensoleillement du monde. En 2008, il était question de développer un projet de fermes photovoltaïques et de faire de la ville une grande productrice d’énergie solaire. Mais le projet n’avance pas.
Or, ce projet aurait l’assentiment de la population. L’Algérie – et en premier lieu ses gouvernants - n’est pas un pays très concerné par l’écologie. Mais ici, nous sommes aux portes du Sahara, nous avons appris depuis longtemps à respecter l’environnement et notamment à faire attention à l’eau, dont nous disposons en faibles quantités.