En Ukraine, on se cotise pour payer des sous-vêtements aux soldats
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La rédaction des Observateurs
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Fragilisée par des années de corruption, l’armée ukrainienne est un grand corps malade. Sur le terrain, les soldats disent manquer aujourd’hui de tout et notamment d’équipements basiques pour résister au froid : des uniformes, des sacs de couchages, des sous-vêtements. Autant de matériel que les citoyens payent parfois de leur poche aux combattants.
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Des soldats ukrainiens recoivent des cartons de ravitaillement dans l'est du pays.
Fragilisée par des années de corruption, l’armée ukrainienne est un grand corps malade. Sur le terrain, les soldats disent manquer aujourd’hui de tout et notamment d’équipements basiques pour résister au froid : des uniformes, des sacs de couchages, des sous-vêtements. Autant de matériel que les citoyens payent parfois de leur poche aux combattants.
Au lendemain du départ du président Ianoukovitch, chassé par le mouvement de la place Maidan en février 2014, le ministère de la Défense lui-même avait lancé un appel aux Ukrainiens pour venir en aide à une armée exsangue et mal entrainée. Moins d’un an après, fin décembre, le ministère déclarait avoir reçu 153 millions de grivna, soit 8 millions d’euros, à titre caritatif. Une somme qui aurait servi à acheter des dizaines de milliers de gilets pare-balles, de casques, de paires de chaussures et plus de 150 000 tonnes de fuel. Des entreprises de téléphonie mobile ont notamment participé à cette levée de fonds, en reversant une partie de leurs bénéfices au ministère, et nombre de particuliers ont lancé des appels à dons sur les réseaux sociaux.
Des sous-vêtements envoyés par l'organisation Wings Phoenix.
Anna et des bénévoles rassemblent des équipements.
Des bottes envoyées par "Help the Army of Ukraine" et achetées par une entreprise ukrainienne à la période de Noël.
Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.
"Les généraux me font la liste de ce dont ils ont besoin"
Anna Sandalova a fondé une de ces plateformes au printemps 2014. Son site et sa page Facebook "Help the Army of Ukraine", qui existe en anglais, en Russe et en Ukrainien , lui auraient déjà permis de lever près d’un million d’euros.
J’ai lancé cette initiative au moment où l’armée russe a commencé à encercler des soldats ukrainiens en Crimée. Le gouvernement n’avait pas les moyens financiers ou logistiques d’agir là bas. Nous avons donc rapidement récolté des fonds pour envoyer des bus sur place et ramener les soldats en débandade. Maintenant, nous collectons pour les soldats déployés dans l’est de l’Ukraine.
Près de Lougansk, l'équipe d'Anna livre un générateur acheté grâce aux cotisations des soldats.
Je suis en contact direct avec des commandants en opération à Donetsk, Lougansk, Kramatorsk etc… C’est maintenant eux qui me font la liste de ce dont ils ont besoin. Avec le temps on est devenu très efficaces, leurs commandes arrivent sur place en quelques jours.
Un sapin et des cadeaux amenés par le groupe de bénévoles aux combattants de Kramatorsk.
Dans leur campement, les bénévoles ont testé les sacs de couchage distribués aux soldats. Il faisait 3°C à l'interieur de la tente.
On leur a déjà livré des lunettes de vision nocturne, des systèmes de navigation, des cartes, du matériel de communication mais aussi des équipements pour combattre le froid, notamment des bottes, des sacs de couchage, ainsi que des sous-vêtements thermiques. On envoie aussi de la nourriture pour eux et pour les civils. Il est en revanche illégal de fournir des armes et d’un point de vue moral je ne pourrais pas le faire [d’autres groupes ont fait savoir qu’ils seraient d’accord pour que l’argent donné directement au ministère serve à acheter des armes]. Si les soldats passaient par le ministère, il leur faudrait attendre des mois avant de recevoir leurs sacs de couchage.
Éloignées de la ligne de front, des personnes âgées reçoivent des fruits et des couvertures.
Une armée affaiblie par la corruption
Officiellement l’armée ukrainienne ne reçoit pas d’aide militaire de l’Otan. Le ministère de la Défense ukrainien avait toutefois fait savoir en septembre que certains États membres lui livraient des armes sans divulguer quels États et quelles armes.Pour autant, les spécialistes s’accordent à dire que les forces ukrainiennes restent indéniablement plus faibles en termes de logistique (essence et munitions) mais aussi en termes d’entrainement au combat que l’armée russe, accusée de soutenir les rebelles indépendantistes dans l’est de l’Ukraine.
Les anciens de Maidan considèrent que cet amateurisme est le résultat d’années de corruption. Une "stratégie des autorités pro-Kremlin" qui avait selon eux intérêt à enrichir certains, tout en confortant la Russie dans sa position d’unique défenseur de l’Ukraine. Pour autant, la corruption ne semble pas avoir disparu avec la chute du président Ianoukovitch. À l’est du pays, des ventes d’informations à l’ennemi par des hauts gradés ukrainiens ont été signalées et des ravitaillements envoyés par les civils auraient été dérobés par des officiers, ont expliqué certains soldats aux médias.
Anna, elle, se déplace elle-même toutes les deux semaines dans l’est du pays avec une équipe d’une demi-dizaine de personnes pour donner les équipements et les ravitaillements en main propre. Elle travaille en collaboration avec le ministère de la Défense qui la met en contact avec des généraux sur place. Après dix mois de travail associatif, elle dit bien connaître les combattants.
Nous donnons nos ravitaillements aux soldats intégrés à l’armée régulière mais aussi aux combattants des bataillons de volontaires comme le bataillon Donbass ou le bataillon Azov. Pour nous, ils font partie intégrante de l’armée, et ce sont peut-être ceux qui se battent avec le plus de ferveur.
Des équipements pour les bataillons d’extrême droite
Parmi ces bataillons, certains appartiennent à l’extrême-droite, comme l’unité paramilitaire Azov ou encore l’organisation ultranationaliste Praviy Sektor , en première ligne contre les miliciens pro-russes dans la zone de l’aéroport de Donetsk. Un positionnement idéologique qui n’effraie pas les activistes que nous avons contactés. "Cela concerne seulement une partie des combattants et il y a bien pire côté russe en terme d’extrémisme" justifie Taras Revunets, militant pro-Maidan basé à Kiev.
Mais tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Dans une interview donnée à Bruxelles2, Oleg Anatoliyovych, ancien colonel ukrainien et membre d’un conseil d’experts indépendants mis en place par le ministre de l’Intérieur s’inquiète que ces groupes, équipés par des civils en matériel, ne puissent un jour se retourner contre Kiev.