GABON

Infos et intox sur le week-end de protestation à Libreville

La manifestation organisée samedi à Libreville par plusieurs partis politiques de l’opposition gabonaise, pour demander le départ du président Ali Bongo, a fait monter d’un cran la tension dans le pays. Sur les incidents qui ont émaillé ce week-end, autorités et manifestants ont des versions contradictoires.

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Dans les rues du quartier Rio de Libreville, samedi 20 décembre. Les fumées du gaz lacrymogène sont perceptibles. Image : Raph Tchonda.

La manifestation organisée samedi à Libreville par plusieurs partis politiques de l’opposition gabonaise, pour demander le départ du président Ali Bongo, a fait monter d’un cran la tension dans le pays. Sur les incidents qui ont émaillé ce week-end, autorités et manifestants ont des versions contradictoires.

Le gouvernement avait dans un premier temps autorisé le rassemblement, avant de se raviser vendredi. Motif officiel : "Des indices (…) sur la possible perturbation de l’ordre public" par "des éléments incontrôlés" a fait valoir dans un communiqué le ministre de l’Intérieur, Guy Bertrand Mapangou. Ce qui n’a pas empêché plusieurs centaines de personnes de se retrouver dans le quartier Rio, samedi en début d’après-midi. Très vite, des affrontements ont éclaté avec les forces de l’ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes.

Lors de la manifestation du 20 décembre. Image : Raph Tchonda

Mais la confusion demeure quant au déroulement exact de la manifestation : le Front de l’opposition pour l’alternance, une coalition de partis, assure que les forces de l’ordre ont fait usage d’armes "à balles réelles", alors que les manifestants étaient "à mains nues". Le ministre de l’Intérieur ne partage pas cette vision, assurant que "certains manifestants étaient en possession d’armes blanches, de bidons d’essence et d’autres visiblement sous l’effet de la drogue" et que les forces de l’ordre ont agi "avec retenue".

Des leaders de l'opposition se rendent à la marche. Image : Moukagni Iwangou.

Des membres des forces de l'ordre arrêtent et brutalisent un homme. Vidéo : UpGabon

Une centaine de personnes ont été arrêtées. Un homme au moins est mort, sans qu’il soit aujourd’hui possible d’établir dans quelles circonstances. Plusieurs photos et vidéos circulent, le montrant, blessé au visage, sur le toit d’une voiture.

Une des photos de l'homme blessé, qui trouvera la mort, qui circule sur les réseaux sociaux.

Nous avons soumis une série de questions aux autorités gabonaises sur le déroulement des évènements, nous publierons leur réponse dès que nous la recevrons.

Pour notre Observateur à Libreville, le pouvoir en place a quoi qu’il en soit surréagi par rapport à l’événement.

"J’affirme qu’il y a eu utilisation de balles réelles"

Georges Mpaga est activiste et défenseur des droits de l’Homme.

Je n’ai pas participé à la manifestation mais j’étais sur place pour observer ce qui se passait. La manifestation était prévue à 14 h mais dès le milieu de matinée, tout le quartier Rio était ceinturé de membres des forces de l’ordre lourdement armés. La marche n’avait pas démarré que le pouvoir pensait déjà à la réprimer… J’affirme qu’il y a eu utilisation de balles réelles par les forces de l’ordre, c’est dangereux d’en arriver là.

J’ignore les circonstances à l’origine de la mort de l’homme, mais de ce que j’ai vu et selon les témoignages que j’ai recueillis, il a été blessé pendant la manifestation et des hommes ont voulu l’évacuer vers un hôpital. Mais comme tout le quartier était quadrillé ils ont mis beaucoup de temps à sortir, l’homme est donc mort avant son arrivée à l’hôpital.

On accorde facilement aux supporteurs du pouvoir de manifester, mais par contre, dès qu’il s’agit de l’opposition, on l’interdit systématiquement.

Plusieurs incidents se sont produits en marge de la manifestation. Fuyant les forces de l’ordre, des manifestants ont trouvé momentanément refuge dans la cour de l’église Saint-Michel, avant d’en être délogés et arrêtés par la police. Postée sur les réseaux sociaux, une image montre un membre des forces de sécurité nez à nez avec Mgr Bonnet, responsable de la paroisse. "Contrairement à ce qui a pu être dit, les forces de l’ordre n’ont à aucun moment molesté ni porté atteinte physiquement à Mgr Bonnet. Il y a eu des échanges verbaux peut-être un peu tendus, mais c’est tout" assure pourtant un responsable de l’Église catholique au Gabon, contacté par France 24.

Devant l'église Saint-Michel, vive discussion entre les responsables cléricaux et les forces de l'ordre. Photo : OpGabon

Les étudiants de l'UOB expulsés du campus

Du côté de l’université Omar Bongo (UOB), où un mouvement étudiant dure depuis 2012 et où des affrontements avec les forces de l’ordre ont encore éclaté en fin de semaine dernière, la journée de samedi n’a pas donné lieu à des débordements. Pourtant, dimanche, le principal syndicat étudiant, dont le secrétaire général a été arrêté la semaine dernière, a été dissous par le conseil rectoral. Et le campus de l’UOB doit être fermé à partir de lundi soir et les étudiants évacués, alors qu’il reste habituellement ouvert durant les fêtes.

Les étudiants contraints dequitter le campus de l'UOB. Photo : @mays_kynga

Cible des manifestants, le président gabonais Ali Bongo n’a pas publiquement réagi à la manifestation. Mais il était présent à la télévision dimanche, où des images le montraient en train de "faire des courses de Noel " dans un supermarché avec la Première dame, Sylvia Bongo. Une opération de communication qui a soulevé l’ire des opposants, qui y ont vu le symbole du mépris du pouvoir à leur égard.

De quoi encore contribuer à accroitre la tension et susciter les craintes d’un autre de nos Observateurs à Libreville.

"Si le gouvernement continue à refuser de négocier, les choses pourraient très mal tourner"

Bernard (pseudonyme) est producteur de télévision à Libreville.

Une manifestation autorisée puis interdite, la répression, l’absence de dialogue avec l’opposition : l’attitude du pouvoir est très dangereuse. Et cela d’autant plus dans la situation actuelle, qui ne cesse de se dégrader. Il y a des grèves dans tous les secteurs, à commencer par le pétrole avec la grève illimitée lancée par l’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep) début décembre. Résultat, pas un seul baril n’a été exporté depuis, ça va poser de très graves problèmes à l’économie si ça continue, sachant qu’on est très dépendants du pétrole. Si le gouvernement continue à refuser de négocier avec l’Onep comme il refuse toute manifestation de l’opposition, les choses pourraient très mal tourner.