GABON

A Port-Gentil, les inondations meurtrières révèlent les graves carences d’infrastructures

Dans la capitale économique gabonaise, la saison des pluies est meurtrière : lundi, un homme a été électrocuté alors qu’il marchait dans les rues inondées du quartier défavorisé de Matanda, où trainaient des câbles électriques. Son décès a suscité la colère des habitants, qui dénoncent un système d’évacuation des eaux et des infrastructures électriques non entretenus et dangereux.

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Inondations dans le quartier populaire de Matanda à Port-Gentil, le 15 décembre. Un homme est mort éléectrocuté. Image prise par un de nos Observateurs.

Dans la capitale économique gabonaise, la saison des pluies est meurtrière : lundi, un homme a été électrocuté alors qu’il marchait dans les rues inondées du quartier défavorisé de Matanda, où trainaient des câbles électriques. Son décès a suscité la colère des habitants, qui dénoncent un système d’évacuation des eaux et des infrastructures électriques non entretenus et dangereux.

Le jeune piéton est mort lundi matin. Dès l’après-midi, des résidents de Matanda ont bloqué la route principale qui traverse le quartier, réclamant le lancement de travaux promis de longue date par les autorités pour assurer une évacuation efficace des eaux de pluie. Dispersés par la police, ils ont renouvelé leur mobilisation mardi matin, jusqu’à ce que le gouverneur de la région vienne leur promettre la prise en compte rapide de leurs revendications.

Les habitants du quartier Matanda manifestent après la mort par électrolucation d'un homme. Les forces de police interviennent, lundi 15 décembre à Port-Gentil. Images prises par nos Observateurs.

Port-Gentil est une ville particulièrement soumise aux inondations. Elle est située entre deux à quatre mètres au dessus du niveau de la mer et est quasiment sans relief, alors que le Gabon se trouve dans une zone de climat tropical, où la pluviométrie peut être très forte lors des deux saisons de pluie. Or, le réseau de canalisations de la ville est très insuffisant, de sorte que les inondations sont fréquentes. Elles causent des problèmes de salubrité, avec le mélange des eaux de pluie et des eaux sales, mais deviennent même dangereuses dans des secteurs où le réseau électrique n’est pas sécurisé, explique notre Observateur.

"Des centaines de câbles électriques, sectionnés ou dénudés, trainent dans les rues de manière complètement anarchique"

Olivier Nzodi est journaliste indépendant à Port-Gentil.

Chaque année, lors de la saison des pluie, la majeure partie de Port-Gentil est sous l’eau comme depuis ce week-end, à l’exception du centre ville où se trouvent les administrations et les bureaux d’entreprises et qui est donc mieux équipé que le reste. A Matanda comme dans de nombreux quartiers, le réseau de canalisations est totalement insuffisant, si bien que dès qu’il pleut beaucoup, les canalisations sont très vite bouchées et les rues sont inondées.

Pourtant nous sommes en bord de mer, on devrait pouvoir évacuer rapidement les eaux.

Habitants de Matanda les pieds dans l'eau après les inondations. Image prise par un de nos Observateurs.

Le problème des canalisations se double d’un réseau électrique vétuste et insuffisamment développé. Port-Gentil, c’est le poumon économique du Gabon, une ville en pleine expansion. Des personnes viennent s’y installer chaque jour, dans l’espoir de trouver du travail. Pourtant il n’y a pas de plan d’urbanisation adapté, du coup les gens s’installent là où ils peuvent, se construisent des habitats de fortune dans des quartiers périphériques et défavorisés comme Matanda. Le premier relai électrique se trouve souvent éloigné de leur logement, les habitants s’y relient avec des câbles et on se retrouve donc avec des centaines de câbles qui trainent dans les rues, de manière complètement anarchique. Certains sont esquintés, sectionnés, d’autres dénudés, ils pendent ou trainent à même le sol. En cas d’inondations ils sont donc rapidement en contact avec l’eau, ce qui peut provoquer l’électrocution d’une personne qui passe à proximité.

Cables électriques dans le quartier de Ntchengué à Port-Gentil.

Pour moi, les moyens financiers et techniques pour améliorer les réseaux de canalisations et d’électricité existent : le maire de Port-Gentil avait promis après son réélection en janvier qu’il prendrait des mesures. Le président gabonais Ali Bongo, lors d’une visite cet été, avait lui aussi assuré que le projet de nouvelles canalisations serait relancé. Mais rien n’a été fait.

Port-Gentil bénéficie en effet d’un prêt de 55 millions d’euros de l’Agence française de développement qui doit permettre la réhabilitation du réseau de collecte et de drainage des eaux pluviales et la construction de 1000 latrines voie sèche dans les quartiers sous intégrés de la ville, ce qui doit aussi assurer une évacuation plus rapide des eaux. Il devait être mis en œuvre sur une période allant de 2010 à 2016, mais n’a pour l’instant pas commencé.

Contacté par FRANCE 24, le maire de Port-Gentil, Bernard Aperano, déplore la récurrence des problèmes d’inondations mais assure que "l’Etat va mettre en place un plan d’assainissement, confié à la société espagnole Acciona". Il ajoute que les équipes municipales récurent les canaux d’évacuation chaque année, mais que "les habitants continuent d’y jeter leurs ordures" ce qui contribue à les boucher. Questionné sur la mauvaise organisation du système électriques, il renvoie la responsabilité à la SEEG (Société d’Energie et d’Eau du Gabon). Ce qui ne convainc pas notre second Observateur.

"Les autorités sont plus dans la réaction que dans l’action"

Paul  P. (pseudonyme) vit à Port Gentil.

A Port-Gentil, les autorités sont plus dans la réaction que dans l’action, et il ne faut pas se leurrer, les travaux nécessaires pour améliorer le réseau de canalisation et le réseau électrique vont être longs. La SEEG doit absolument revoir les installations électriques qui sont complètement vétustes. Nous avons régulièrement des coupures d’électricité, alors que dès qu’il pleut abondamment, nous sommes plongés dans le noir, comme c’est le cas en ce moment.

La mobilisation des habitants de Matanda pourrait s’avérer efficace : s’ils obtenaient ne serait-ce qu’un début de satisfaction, que des travaux étaient engagés ici ou là, d’autres quartiers qui connaissent les mêmes problèmes de canalisation et de câblage pourraient se soulever.

Le Gabon est un des pays les plus riches d’Afrique, notamment grâce à d’importantes ressources pétrolières et minières. Il est en pleine croissance (+5,5% en 2013) et affiche le deuxième PIB par habitant du continent, derrière la Guinée Equatoriale. Mais la répartition des richesses est très inégale : 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté en milieu urbain et 45% en milieu rural.

Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à FRANCE 24.