Vidéo : deux mineurs congolais torturés dans une mine angolaise
Deux hommes torturés par des employés d’une société de sécurité privée : c’est ce que montre une vidéo amateur tournée dans une concession minière en Angola. Un témoignage rare sur les terribles abus commis dans les mines de diamants du pays.
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Vidéo prise par un employé de la société K&P Miniera en Angola, où deux mineurs se font sauvagement battre. Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.
Deux hommes torturés par des employés d’une société de sécurité privée : c’est ce que montre une vidéo amateur tournée dans une concession minière en Angola. Un témoignage rare sur les terribles abus commis dans les mines de diamants du pays.
La scène a été filmée secrètement le 8 septembre par un employé de K&P Mineira, une société de sécurité privée. On y voit ses collègues brutalisant deux hommes congolais qui ont été surpris en train d’extraire illégalement des diamants sur le domaine exploité par l’entreprise Luminas. Les deux hommes sont notamment frappés à de multiples reprises avec la tranche d’une machette.
ATTENTION : CETTE VIDEO PEUT CHOQUER LES PLUS SENSIBLES
La vidéo aurait été filmée par un employé de K&P Miniera sur une concession de diamants.
Ce document a été récupéré par Rafael Marques de Morais, un journaliste angolais qui a été l’un des premiers à dénoncer le commerce illégal des "diamants de sang" ("blood diamonds" en anglais) en Angola, il y a plus de 20 ans. Il l’a ensuite publié sur Maka Angola, son blog consacré à la lutte contre la corruption.
Distingué par plusieurs récompenses internationales pour ses reportages sur les droits de l’Homme et la corruption, le journaliste avait notamment irrité les autorités avec son livre "Diamants de sang : torture et corruption en Angola ", paru en 2011. Un ouvrage qui documente plus de 500 cas de torture et une centaine de meurtres commis dans deux provinces, pendant 18 mois, par l’armée angolaise et des sociétés de sécurité privées. En 2011, le pays a d’ailleurs connu d’importantes manifestations contre les abus des sociétés de sécurité. Pour Rafael Marques de Morais, cette vidéo montre que, malgré ses révélations, la situation dans les mines de diamants n’a guère changé.
Le journaliste risque de payer cher pour ses enquêtes. Il accuse deux généraux qui détiennent des sociétés de sécurité privée d’être responsables d’atrocités. Des affirmations qui lui valent d’être poursuivi pour diffamation par les militaires. Son procès débutera le lundi 15 décembre.
"Les propriétaires de ces sociétés de sécurité privée appartiennent aux plus hauts rangs de l’armée et de la police"
Cette vidéo m’a été envoyée directement par un membre du personnel de K&P Mineira estimant que ce genre de pratiques n’a pas lieu d’être. Dans ce genre de cas, malheureusement, il y a rarement des preuves en images. Les violences montrées sur la vidéo sont malheureusement la routine dans nombre d’exploitations minières en Angola.
La loi contraint les sociétés de sécurité privée à remettre à la police tout mineur qui agirait illégalement, mais elles ne le font pas. Pourquoi ? Parce que les propriétaires de ces sociétés de sécurité privée appartiennent aux plus hauts rangs de l’armée et de la police. Par ailleurs, beaucoup des gardiens de ces entreprises appartiennent aux régiments d’élite de l’armée et de la police.
Il faut également savoir que parfois, les entreprises de sécurité privée autorisent des mineurs illégaux à commencer à creuser. Mais dès qu’ils trouvent quelque chose, les gardiens les frappent, ou même les tuent, et prennent les diamants.
"Les travailleurs des mines ont plus de chances de se faire tuer que de devenir riches"
Les régions où se trouvent les diamants sont parmi les plus déshéritées du pays. La pauvreté y est ahurissante. Quand le gouvernement accorde des concessions pour exploiter des mines, il donne les villages et les terres de la concession avec. Les entreprises sont censées relocaliser les villages dans des terres plus sûres, hors de la concession, mais ne le font jamais. Et ils ont recours à la violence pour contrôler les populations locales.
Il n’y a ni emploi, ni investissement, rien pour les gens qui vivent sur ces terres. S’ils essayent de développer l’agriculture, ils se font attaquer pour l’avoir fait sur le terrain de la concession. Les périmètres des concessions ne sont par ailleurs jamais clairement définis et les gens n’ont aucun moyen de savoir ce qui appartient ou non à l’entreprise. De plus, la plupart des terres arables dans la région de Cunago ont été détruites par les activités minières. Et donc les habitants deviennent des mineurs, c’est une question de subsistance... [Ces régions comptent également beaucoup de mineurs illégaux venus du Congo, NDLR].
"Quand je travaillais pour le quotidien d’État, j’étais du côté qui bénéficie de toutes les informations"
Mais si vous devenez mineur, vous avez plus de chances de vous faire tuer que de devenir riche. Dès qu’un gros diamant est découvert, les gens se battent pour le récupérer. Celui qui l’a découvert a de grandes chances de se faire massacrer.
Durant les 20 ans que j’ai passés à écrire sur les violations des droits de l'Homme dans les mines de diamants, j’ai tout vu. J’ai emmené des gens à l’hôpital, j’en ai vu d’autres mourir. J’ai même vu la police creuser pour trouver des diamants par elle-même. J’ai été la cible d’une embuscade, dont le but était de me faire disparaître. Mais j’ai été très chanceux et j’ai survécu [la police angolaise dément ces affirmations, NDLR].
L’Angola a pourtant une légitimité dans ce domaine auprès de la communauté internationale. Malgré les abus commis dans les mines en Angola, le pays préside aujourd’hui le processus de Kimberley.
Le processus de Kimberley, dans lequel l’Angola est entré en 2003, doit permettre d’assurer la traçabilité et la certification des origines des diamants, et assurer qu’ils ne proviennent pas de zones de conflits. Les pays membres doivent notamment mettre en place des contrôles à l’importation et à l’exportation, et ne peuvent que faire du commerce avec d’autres pays membres. Cependant, beaucoup des pays membres fondateurs ont quitté le projet, le jugeant corrompu et inefficace.
L’entreprise minière Luminas n’a pas réagi à cette vidéo, ni pour l’instant répondu aux questions de France 24 sur ce sujet. Cependant, en 2008, le groupe qui détient Luminas - le Lev Leviev Group of Companies, qui appartient au milliardaire israélien du même nom - avait nié en bloc des accusations similaires, selon lesquelles les gardes d’une de leurs mines avaient brutalement réprimé une manifestation de mineurs.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Brenna Daldorph (@brennad87), et traduit en français par Corentin Bainier (@cbainier), journalistes à France 24.