Qui commet les massacres à répétition au Nord-Kivu ?
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Plus de 100 personnes ont été tuées jeudi 20 novembre dans les villages de Masulukwede, Tepiomba et Vemba, à une trentaine de kilomètres de Beni, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Les auteurs de ces attaques n’ont pas encore été formellement identifiés. Si les soupçons portent essentiellement sur les rebelles ougandais ADF-Nalu, certains évoquent aussi des complicités locales.
Ce panneau à Mutsanga, ville de Butembo, indique "Génocide à Butembo - Beni”, après un massacre commis début octobre 2014. Photo prise par Nguru Wasingya Anselme.
Plus de 100 personnes ont été tuées jeudi 20 novembre dans les villages de Masulukwede, Tepiomba et Vemba, à une trentaine de kilomètres de Beni, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Les auteurs de ces attaques n’ont pas encore été formellement identifiés. Si les soupçons portent essentiellement sur les rebelles ougandais ADF-Nalu, certains évoquent aussi des complicités locales.
Ces attaques sont les dernières d’une longue série dans la province du Nord-Kivu. Depuis un mois et demi, plus de 200 personnes – en comptant les victimes de ce dernier massacre – ont été tuées dans la zone. Jeudi, les villageois ont été assassinés avec des machettes, des haches et des armes à feu.
ATTENTION, CERTAINES IMAGES PEUVENT CHOQUER.
"Les assaillants portaient l’uniforme de l’armée congolaise, les habitants ne se sont pas méfiés"
Fiston Mahamba Larousse est bloggeur et journaliste pour une radio locale de Béni. Le lendemain du massacre, l’un de ses collègues s’est rendu à Masulukwede, où il a rencontré un rescapé.
Un rescapé, que l'un de mes collègues a rencontré, a raconté que les assaillants étaient arrivés en début d’après-midi à Masulukwede. Ils étaient vêtus d’uniformes des FARDC [Forces armées de la RDC, NDLR], donc les habitants ont pensé qu’il s’agissait de militaires congolais en patrouille et ne se sont pas méfiés. Ils parlaient le swahili, la langue locale, avec un accent kinyarwanda, mais ça n’a pas étonné les villageois car il y a certaines unités rwandophones dans les rangs des FARDC [le kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, est également parlé au sud de l’Ouganda et à l’est de la RD Congo. C’est aussi l’une des principales langues parlées par les rebelles ougandais ADF-Nalu, NDLR]
Ensuite, ils ont commencé à arrêter les villageois et à leur demander leurs cartes d’identité. Ils les ont rassemblés chez le chef du village, puis ont commencé à les ligoter. C’est à ce moment-là que le rescapé s’est échappé, comprenant que ces individus n’étaient pas des militaires de l’armée régulière. Il s’est caché dans la forêt, d’où il a assisté au massacre, impuissant. Il n’a pas osé aller chercher de l’aide car il était paralysé par la peur. Il est sorti de sa cachette le soir, après le départ des assaillants.
Selon plusieurs témoignages, des faits similaires se sont déroulés dans les autres villages. D’autres civils ont également été massacrés en fin d’après-midi, alors qu’ils rentraient des champs et se dirigeaient vers Mavivi ou qu’ils revenaient du marché de la ville. Avant de repartir, les assaillants ont emporté des chèvres, des poules, du cacao et des tronçonneuses.
Depuis ces attaques, les militaires congolais ratissent la zone, avec le soutien de la Monusco, la mission de l’ONU présente en RDC, afin de trouver les assaillants. Jusqu’à présent, l’armée a interdit aux villageois de retourner dans leurs villages ou dans leurs champs.
Les corps de villageois massacrés jeudi dernier, à la morgue de Oicha. Photo de Pascal Muhindo Mapenzi.
"Il nous semble trop réducteur de dire que les attaques proviennent uniquement du groupe rebelle ougandais ADF-Nalu"
Maître Omar Kavota est le vice-président de la Société civile du Nord-Kivu, une plateforme regroupant plusieurs associations de la province.
On pense que les auteurs de ces récentes attaques sont les rebelles ougandais du groupe ADF-Nalu. Mais il nous semble trop réducteur de dire qu'elles proviennent uniquement de ce groupe. Nous pensons que ce ne sont pas les seuls responsables.
On s’interroge notamment sur l’existence éventuelle de liens entre le groupe ADF-Nalu et des membres du M23 [un groupe rebelle congolais, théoriquement dissous depuis la signature de l’accord de Nairobi en décembre 2013 entre ses dirigeants et le gouvernement, NDLR]. Au mois d'août, j’ai rencontré un jeune combattant ADF-Nalu qui s’était rendu peu de temps auparavant. Il disait avoir été formé par le M23. On craint donc que certains anciens éléments du M23 fassent partie des groupes à l’origine de ces massacres.
Ce qui est sûr, c’est que les assaillants souhaitent contrôler la zone et déstabiliser les institutions. Pour nous, il s’agit d’une nouvelle guerre, d’une nouvelle rébellion partant de Beni.
Une quarantaine de suspects arrêtés depuis un mois
Joint par FRANCE 24, Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement congolais, indique avoir reçu un premier rapport des services de la police locale, à la suite des récents massacres. "Ce rapport remet principalement en cause les ADF-Nalu, mais ils sont accompagnés de complices congolais", précise-t-il.
"Au cours des trois premières semaines du mois de novembre, 38 suspects ont été arrêtés, dont 11 Congolais. Parmi eux, certains sont des activistes du parti politique RCD-KML de l’ex-ministre des Affaires étrangères Antipas Mbusa Nyamwisi (2007-2008), un ancien élu de Beni", indique-t-il.
Lambert Mende précise toutefois qu’il n’y a aucun ancien combattant du M23 parmi les 11 Congolais arrêtés. "Peut-être que certains anciens membres du M23 font partie des groupes à l’origine des massacres, mais ce ne sont que des supputations", estime-t-il. Neuf autres suspects – des membres présumés de l'ADF-Nalu – ont également été arrêtés depuis jeudi.
Par ailleurs, il affirme qu’il "est encore trop tôt pour parler de rébellion". "Il s’agit d’actions criminelles avant tout. Et si on doit parler de rébellion, alors il s’agit d’une rébellion du groupe ADF-Nalu regroupant autour d’elle des Congolais", indique-t-il.
Du côté de la Monusco, on indique également que "les FARDC ont arrêté un certain nombre de membres du groupe ADF-Nalu, mais qu’il est encore trop tôt pour se prononcer avec exactitude sur l’identité des attaquants", selon Charles Bambara, son directeur de l’information publique. "La présence d’anciens combattants du M23 au sein des groupes ayant commis les récentes attaques n’a pas été prouvée. L’essentiel d'entre eux se trouvent encore dans des camps de démobilisation en Ouganda, car le M23 est en train de négocier avec le gouvernement pour avoir une amnistie totale de ses membres", ajoute-t-il.
Depuis un mois, la Monusco et les FARDC ont renforcé leur présence dans la zone afin de dissuader de nouvelles attaques.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.