Les "usines à chiots", mouroirs canins de Jakarta
Sauver les chiens des élevages clandestins, c’est la mission que s’est donné un groupe de défenseurs des droits des animaux de Jakarta, la capitale indonésienne. Grâce au signalement du voisinage, ils localisent les arrière-cours où s'organise la reproduction de chiens de race, dans des conditions atroces, en dehors de toutes règles d’hygiène, et tentent de les en extirper.
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Des bulldogs dans un élevage clandestin. All photos courtesy of Jakarta Animal Action Network.
Sauver les chiens des élevages clandestins, c’est la mission que s’est donnée un groupe de défenseurs des droits des animaux de Jakarta, la capitale indonésienne. Grâce au signalement du voisinage, ils localisent les arrière-cours où est organisée la reproduction de chiens de race, dans des conditions atroces, en dehors de toutes règles d’hygiène et tentent de les en extirper.
"Les femelles se font injecter tout un tas d’hormones pour être aussi fertiles que possible"
Karin Franken est co-fondatrice de l’ONG Jakarta Animal Aid Network (JAAN). Elle vit en Indonésie depuis une vingtaine d’années et dirige une clinique vétérinaire à Jakarta.
Les éleveurs de chiens existent depuis longtemps ici, mais depuis un an et demi, le nombre d’élevages clandestins où les conditions sont effroyables a monté en flèche. Cette augmentation est liée à la hausse de la demande de chiens de race dans le pays. Les chihuahua, les bulldog ou encore les shih tzu sont perçus comme un marqueur social et beaucoup se sont dits qu’il y avait de l’argent à se faire dans le secteur. Certains se sont lancés du jour au lendemain et ont installé un élevage dans leur cour.
Un chien sauvé d’un élevage clandestin.
Généralement, on arrive à plusieurs activistes et bénévoles et on négocie avec les propriétaires jusqu’à ce qu’ils acceptent qu’on récupère les chiens. On prend des photos, on cite les lois qui réglementent la cruauté envers les animaux, on les menace de revenir avec un avocat, de manifester. Ça peut prendre des heures mais parfois ça marche. On n’implique pas la police puisque qu’elle n’est pas du tout habituée à gérer ce genre de problèmes et que ce n’est d’ailleurs pas du tout sa priorité. Mais on aimerait qu’à terme elle collabore avec nous.
Les quatre opérations que nous avons menées ont été efficaces et, au total, on a sauvé plus de 40 chiens. Il est arrivé qu’un propriétaire change d’avis et nous harcèle pour récupérer ses animaux, mais quand ils comprennent qu’on les a stérilisés et qu’ils ne peuvent plus se reproduire, ils sont beaucoup moins intéressés.
“Les propriétaires ne leur donnaient qu’un peu de riz salé”
Les conditions de vie dans ces élevages sont innommables. Les chiens sont soit retenus dans des cages, soit attachés à des arbres avec à peine de quoi se mettre à l’abri. Ils sont sous-alimentés. Le dernier endroit où nous sommes allés était un élevage de bulldog. Les propriétaires ne leur donnaient qu’un peu de riz salé. Résultat, la plupart avaient perdu leurs dents et développé toutes sortes de maladies pour lesquelles ils n’étaient évidemment pas traités. Ils ont des problèmes de peau, sont anémiés, attaqués par les tiques, certains sont même galeux. Et plusieurs de ces maladies, comme la démodécie, [développement cutanée de parasites] sont transmissibles aux chiots.
Un chien sauvé d’un élevage clandestin.
Les femelles se font injecter tout un tas d’hormones pour être aussi fertiles que possible et beaucoup développent des kystes. Il y a aussi les conséquences à long terme. Les shih tzu ont par exemple des yeux très fragiles et étant données les conditions de vie dans ces élevages, ils perdent souvent l’usage d’un œil ou même des deux yeux. Et bien souvent, les propriétaires les jettent dehors dès qu’ils ne sont plus fertiles.
Un bulldog opéré pour des abcès.
Comme ce sont des chiens de race, on trouve généralement des personnes qui veulent les adopter. Mais on se doit d’étudier en détail leurs profil pour que l’animal ne finisse pas négligé par un propriétaire qui voulait un chien uniquement comme accessoire.
“Ils ne sont pas agressifs mais recherchent la compagnie”
On pourrait penser que ces animaux qui ont été si maltraités sont difficiles. Mais ils le sont beaucoup moins que les chiens qui ont été battus. Les chiens de ces “usines à chiots” eux recherchent la compagnie. Ils sont câlins et curieux de ce qu’il se passe autour d’eux. Certains n’avaient jamais couru dans un jardin avant qu’on les recueille !
Un bénévole de JAAN avec un chien récupéré dans un élevage et candidat à l’adoption.
Dans la clinique que je dirige, je vois beaucoup de chiots nés dans ces élevages. Les gens les achètent en général par l’intermédiaire d’une animalerie et ne réalisent pas qu’ils sont déjà malades.
Ces usines à chiots n’existent pas uniquement en Indonésie, on en voit dans le monde entier. Mais en Indonésie, le phénomène est encore plus difficile à endiguer car c’est un pays pauvre et où les droits des animaux ne sont pas respectés. Mais nous allons dans le bon sens. Les Indonésiens sont de plus en plus sensibles à ces questions. Par exemple, les singes dansants ont été interdits l’année dernière à Jakarta. On doit juste être patients.
Billet écrit avec la collaboration Gaelle Faure (@gjfaure), journaliste à FRANCE 24.