ARABIE SAOUDITE

Attaque contre des chiites saoudiens : "Il est temps de sanctionner les discours haineux"

Des hommes armés masqués ont tué au moins cinq personnes à al-Dalwah, un village de l’oasis de Al-Ahsa, dans l’est de l’Arabie saoudite, lundi soir. Les victimes quittaient une cérémonie chiite, organisée dans le cadre des commémorations de l’Achoura, lorsque l’attaque s’est produite. Notre Observateur à Al-Ahsa s’inquiète de ces violences contre les chiites – minoritaires dans le pays – qui pourraient avoir été encouragées par la multiplication des discours haineux.

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Des balles utilisées lors de l'attaque perpétrée contre des fidèles chiites. Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.

Des hommes armés masqués ont tué au moins cinq personnes à al-Dalwah, un village de l’oasis de Al-Ahsa, dans l’est de l’Arabie saoudite, lundi soir. Les victimes quittaient une cérémonie chiite, organisée dans le cadre des commémorations de l’Achoura, lorsque l’attaque s’est produite. Notre Observateur à Al-Ahsa s’inquiète de ces violences contre les chiites – minoritaires dans le pays – qui pourraient avoir été encouragées par la multiplication des discours haineux.

Selon les autorités saoudiennes, trois hommes masqués ont ouvert le feu avec des mitrailleuses et des pistolets, tuant cinq personnes et en blessant neuf autres, avant de prendre la fuite. Mardi, six hommes ont été arrêtés à la suite de cette attaque. Un septième suspect a été tué par les forces de l’ordre, lors d’une opération ayant également entraîné la mort d’un policier.

Selon les activistes chiites locaux, les victimes étaient essentiellement des jeunes hommes qui quittaient un lieu de rassemblement appelé "Huseiniya", où s’était déroulée la cérémonie organisée la veille de l’Achoura. Cette célébration religieuse commémore la mort du petit-fils du prophète Mahomet.

Une vidéo filmée après l'attaque, où l'on voit du sang et des chaussures éparpillées.

Al-Ahsa est l’une des zones d’Arabie saoudite où la concentration de chiites est la plus forte, avec la ville de Qatif (est). Les chiites y organisent régulièrement des manifestations pour protester contre les discriminations dont ils se disent victimes de la part des dirigeants sunnites du royaume, concernant notamment l’accès à l’éducation et à l’emploi. Souvent réprimées par les autorités, ces manifestations se sont intensifiées depuis le Printemps arabe, qui a touché une partie des voisins de l’Arabie saoudite. Plusieurs attaques visant les forces de sécurité, imputées aux chiites, ont été répertoriées dans l’est du pays. Plus récemment, les tensions ont augmenté en raison de la condamnation à mort – pour rébellion – de Nimr Al-Nimr, l’un des leaders de ces protestations chiites, le mois dernier.

Une jeune victime explique qu'elle a vu un homme armé entrer dans la pièce et tirer sur lui et les autres. "On est tombés au sol... et on a été emmenés à l'hôpital."

“On espère que ça n’annonce rien de pire”

Sadek Al-Ramadan est activiste des droits de l’Homme à Al-Ahsa.

Tout le monde pense qu’il s’agit d’une attaque contre les chiites, puisqu’elle s’est produite durant un événement religieux important. Ça a vraiment choqué ici car on n’avait jamais vu de tels actes de violence. C’est un endroit paisible, la population est mélangée. Les chiites et les sunnites s’entendent généralement bien. Moi-même, j’ai plein d’amis sunnites. Donc c’est vraiment le mauvais endroit pour commettre quelque chose comme ça, pour moi – même s’il n’y a pas de "bon" endroit ! Sur les réseaux sociaux et dans la rue, les gens ont presque tous réagi. Ils disent que c’est un incident horrible, qui peut avoir des conséquences négatives pour tout le monde.

Les fidèles se sont rassemblés sur les lieux du drame mardi. Ils clament "On n'aura pas peur".

Chacun ici espère que c’est un incident isolé, et que ça n’annonce rien de pire. J’espère que ces fous ne sont pas de notre ville. Tout ce qu’on sait jusqu’à présent, grâce à la presse saoudienne, c’est qu’ils ont arrêté les six suspects dans différentes zones – à Al-Ahsa, mais aussi dans deux autres villes à l’est [Al-Khoabar] et au centre du pays [Shaqra, près de Riyad, la capitale]. Il existe la peur que les attaquants soient liés à des groupes jihadistes, comme l’État islamique, mais je n’en sais vraiment rien. On attend que les autorités nous en disent plus.

 

“Les discours haineux se banalisent”

Que ces criminels travaillent seuls ou non, ça m’inquiète, car cette attaque aurait pu être encouragée par la multiplication des discours haineux, à la fois sur Internet et dans les mosquées. Depuis le Printemps arabe, on dirait que les problèmes sectaires existant dans d’autres pays voisins génèrent à leur tour de la haine en Arabie saoudite. Les discours haineux se banalisent. Et des actes suivent souvent ce type de discours.

Je voudrais que le gouvernement fasse des efforts pour criminaliser les propos incitant à la violence, en adoptant des lois à ce sujet. Il faudrait bien sûr qu’elles s’appliquent à tout le monde, chiites et sunnites. De nombreux activistes des droits de l’Homme dans le pays pensent la même chose.

La crainte d’une propagation des discours jihadistes en Arabie saoudite est courante chez les activistes des droits de l’Homme locaux. Le pays fait partie de la coalition menée par les États-Unis afin de combattre les extrèmistes de l’État Islamique en Syrie et en Irak, et beaucoup craignent que des sympathisants de ce groupe commettent des attaques dans le pays. Des milliers de Saoudiens ont déjà rejoint les rangs de groupes jihadistes en Syrie et en Irak.