La candidate de téléréalité qui braque les projecteurs sur les "îles poubelles"
Une Américaine a lancé début octobre une campagne sexy de recyclage des déchets pour tenter de nettoyer les îles des Maldives : shooting photo en bikini de détritus ou surf au milieu des ordures médiatisent le problème du recyclage des déchets, mais récoltent des réactions mitigées aux Maldives.
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Alison Teal prend la pose avec des bouteilles en plastique en guise de vêtements. Photo "Alison's Adventure" par Sarah Lee.
Une Américaine a lancé début octobre une campagne sexy de recyclage des déchets pour tenter de nettoyer les îles des Maldives : shooting photo en bikini de détritus ou surf au milieu des ordures médiatisent le problème du recyclage des déchets, mais récoltent des réactions mitigées aux Maldives.
Alison Teal, originaire d’Hawaï, a participé en 2013 à l’émission de téléréalité américaine "Naked and Afraid" - diffusée en France sous le nom de "Les boules et les chocottes" sur Discovery Channel - une émission où les participants doivent survivre totalement nus, sans eau ni nourriture pendant vingt et un jours, sur une plage des Maldives. C’est à ce moment qu’elle découvre que la plupart des îles sont jonchées de détritus en tout genre, allant des bouteilles plastiques aux cartons d’emballage.
Un mois après le tournage de l’émission, la jeune femme retourne aux Maldives où elle lance la campagne "One man's trash is another woman's bikini" qui se traduit par "Le déchet d'un homme peut être le bikini d'une femme". Une campagne de sensibilisation non dénuée d’intérêt commercial : pour 62 dollars, il est possible d’acheter sur son site un bikini fait de dix bouteilles recyclées.
Alison Teal nage dans les eaux des Maldives. Photo "Alison's Adventure" par Mark Tipple.
"En dix minutes, vous pouvez ramasser une pile de bouteilles qui atteint votre taille"
Ce qui est particulièrement choquant, c’est l‘île Thilafushi, où se trouve une véritable montagne de détritus. Mais on retrouve aussi des bouteilles plastiques un peu partout sur les autres îles. Avec des enfants maldiviens, nous avons fait quelques opérations de ramassage. En dix minutes, vous pouvez ramasser une pile de bouteille qui atteint votre taille. Donc pour moi, Thilafushi est une opportunité de fabriquer plein de bikinis et d’autres vêtements à partir du plastique.
Évidemment, il y a le côté sexy et visuel de l’opération qui a permis de la médiatiser, mais je n’ai pas fait ça pour stigmatiser la politique de recyclage des Maldives. D’ailleurs, les ordures qui se retrouvent ici proviennent en grande partie de la présence des touristes [selon des organisations de défense de l’environnement, les 600 000 touristes qui visitent annuellement les Maldives génèrent en moyenne par personne 3,5 kilos de déchets par jour NDLR]. J’aurais pu prendre n’importe quelle décharge à ciel ouvert du monde et faire les mêmes photos.
Alison Teal a organisé des opérations de ramassage des détritus sur certaines îles des Maldives avec des enfants. Photo "Alison's Adventure" par Sarah Lee.
La gestion des ordures remise en cause par le coup d’État de 2012
Cette décharge à ciel ouvert existe sur l’île de Thilafushi depuis 1992 et reçoit la plupart des ordures maldiviennes. L’île de 40 km2 accueille par ailleurs de nombreuses activités industrielles, comme la fabrication de bateaux. Selon plusieurs experts, ces activités génèreraient en moyenne 330 tonnes de déchets par jour sur l’île.
Pour enrayer cette pollution, un accord avait été signé en 2011 entre les autorités maldiviennes et une entreprise indienne qui devait gérer les ordures. Mais le coup d’État de février 2012 a considérablement remis en question cet accord qui a finalement a été annulé la semaine dernière sous la pression d’élus de Thilafushi. Aucun incinérateur n’a été construit et la plupart des déchets continuent d’être brûlés sur place, dégageant des fumées toxiques.
Divers objets échouent sur les plages des îles des Maldives. Photo "Alison's Adventure" par Mark Tipple.
Pour autant, tout le monde ne voit pas d’un bon œil la démarche d’Alison Teal. À Malé, la capitale, certains responsables politiques proches du président des Maldives n’hésitent pas à qualifier l’opération d’Alison Teal de "tentative de ruiner l’industrie touristique du pays". À cela, l’Américaine répond :
Ceux qui affirment cela devraient plutôt s’occuper de trouver une solution à cet amas de détritus. Je cherche juste à alerter les gens sur les conséquences d’un geste anodin comme jeter une bouteille de plastique à la mer. Je compte d’ailleurs retourner dès que je le pourrai aux Maldives pour continuer cette action.
"Thilafushi, c’est l’enfer sur terre : cette action a le mérite de médiatiser la cause"
L’opération marketing d’Alison Teal – proposer des vêtements à partir de plastiques recyclés – n’est pas une première : en février dernier, le chanteur Pharrell Williams lançait sa propre collection de vêtements faits à partir de matériaux recyclés provenant des océans.Aux Maldives, son action est toutefois suivie de près par des défenseurs de l’environnement. Shadhu (pseudonyme) est un de ces activistes. Il s’est rendu en 2012 sur l’île.
D’un côté, l’initiative de cette Américaine me gêne un peu,surtout quand je vois qu’elle gagne de l’argent en médiatisant cette cause. Mais de l’autre, elle a le mérite de rappeler la situation de Thilafushi. Des activistes maldiviens ont essayé de lancer des actions similaires, mais ça n’a pas eu la même résonance. Depuis ce nouveau projet, j’ai l’impression que les médias internationaux réalisent à quel point la montagne d’ordures est importante. Ça gène même les autorités et beaucoup de partisans du gouvernement affirment qu’elle a fait ça de concert avec l’opposition pour menacer les intérêts des Maldives. Je crains d’ailleurs qu’il soit maintenant plus difficile de se rendre sur l’île pour des actions militantes. Nous avons déjà remarqué que les patrouilles maritimes autour de Thilafushi ont été renforcées.
Des travailleurs bangladais travaillent plusieurs heures pour des salaires misérables sans aucune protection selon notre Observateur. Photo avec l'aimable autorisation de Hani Amir.
Je regrette cependant qu’elle ait abordé ce sujet de façon simpliste, sans parler de l’urgence humanitaire : les entreprises qui brassent des tonnes de déchets emploient principalement de la main d’œuvre venue du Bangladesh qui travaille souvent sans aucune protection. Beaucoup se voient confisquer leurs passeports et sont forcés de travailler dans ces usines. Je me suis rendu là-bas pour prendre des photos avec d’autres activistes, je peux vous dire que c’est l’enfer sur terre : il fait tellement chaud dans les débris d’ordure que mes chaussures ont presque fondu.
Alison Teal espère pouvoir retourner aux Maldives prochainement pour continuer son action. Photo Alison's Adventure par Sarah Lee.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à FRANCE 24.